Abir Moussi et les Destouriens se battent contre Ennahdha autant que contre Kaïs Saïed car ils les considèrent comme les deux faces d’une même monnaie, celle de l’islam politique, principale cause de la déliquescence de la situation en Tunisie depuis le 14 janvier 2011.
Par Ridha Kefi
Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), n’a pas attendu le témoignage du quotidien français Libération, qui a écrit qu’elle «se détache comme la personnalité la plus à même de remplacer Kaïs Saïed», pour prendre d’assaut le Palais de Carthage.
Hier, 14 janvier 2023, jour de célébration du 12e anniversaire de la Révolution du Jasmin, et alors que les autres partis ont rassemblé leurs troupes au centre-ville de Tunis pour dénoncer la dérive autoritaire du président de la république, Mme Moussi a préféré prendre la tête d’une marche sur le Palais Carthage.
A l’assaut du palais de Carthage
C’est plus qu’un symbole, la confirmation d’une ambition dont cette avocate de 47 ans n’a jamais fait mystère. Sauf que, manque de pot, et comme il fallait s’y attendre, les forces de l’ordre ont fermé toutes les issues de la capitale et empêché Mme Moussi et ses partisans de prendre le chemin de Carthage.
Ce ne sera que partie remise, car la présidente des Destouriens est encore plus obstinée que le très obstiné Kaïs Saïed qu’elle talonne d’ailleurs souvent dans les sondages de popularité, alors que son parti, le PDL, est souvent classé en tête des intentions de vote pour les législatives. Et cela, on le sait, donne des idées, des ambitions et des ailes aux âmes bien nées.
Même si adversaires n’ont de cesse de le lui reprocher, y voyant une tache indélébile dans son passé et une marque d’ignominie, Mme Moussi n’a jamais renié son passé Benaliste qu’elle revendique tapageusement, par provocation plus que par conviction, car contrairement à son mentor, qui l’avait propulsée sur la scène politique nationale en 2010, elle reste attachée à la démocratie. Ne souffre-t-elle pas, elle aussi, aujourd’hui, du despotisme de Kaïs Saïed, dont elle ne cesse de dénoncer le pouvoir personnel et les atteintes aux droits et aux libertés ?
En descendant hier dans la rue avec ses partisans, Mme Moussi ne voulait pas célébrer le 12e anniversaire de la Révolution du Jasmin, qu’elle n’a jamais voulu reconnaître en tant que telle, puisqu’elle considère ce qui s’est passé le 14 janvier 2011 comme un complot américain visant à installer les islamistes au pouvoir en Tunisie.
Ghannouchi et Saïed, même combat
Ses partisans ont d’ailleurs brandi, hier, des slogans hostiles aux Américains et à Hillary Clinton, l’ancienne secrétaire d’Etat démocrate, qui aurait démontré, lors de son mandat, qui a coïncidé avec les bouleversements du Printemps arabe, une grande indulgence à l’égard des islamistes du parti Ennahdha, que Abir Moussi et les Destouriens considèrent comme le mal absolu et la principale cause de tous les maux dont souffre la Tunisie depuis 2011. Et c’est contre Ennahdha autant que contre Kaïs Saïed que Mme Moussi se bat, car elle les considère comme les deux faces d’une même monnaie, l’islam politique. Le fait que le parti islamiste ait appelé ses partisans, en 2019, à voter pour Saïed (ce qui a d’ailleurs permis à ce dernier de recueillir 72% des scrutins exprimés au second tour), n’est pas pour contredire son analyse, pas plus que les positions très conservatrices sinon fortement imprégnées de fondamentalisme religieux que, depuis son accession au Palais de Carthage, le professeur de droit constitutionnel ne cesse d’exprimer.
Par ailleurs, la constitution que le locataire du Palais de Carthage a fait promulguer par décret présidentiel, unilatéralement et en dehors de tout débat national, a été saluée par les plus dogmatiques des islamistes, ceux du mouvement Hizb Ettahrir, qui y ont vu les prémices d’un régime califal dont ils ont toujours rêvé. Les partisans de ce mouvement moyenâgeux sont d’ailleurs parmi les plus fervents partisans de Saïed qui incarne, par son idéologie passéiste, leur rêve d’un retour du califat islamique.
En mettant donc Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi dans le même sac d’un traditionalisme louche et stérile, Abir Moussi n’a donc pas totalement tort. Car, par-delà l’hostilité qu’ils se vouent en apparence, les deux hommes puisent leurs références intellectuelles dans le même héritage islamique, et se nourrissent l’un l’autre des fausses divergences qui les rapprochent plus qu’elles ne les séparent.
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