Une histoire rapportée par Habib Baccouche, un des gardiens des souvenirs de la médina de Tunis, une histoire émouvante, qui nous plonge dans notre histoire, la seule, celle que nous avons oublié…
La Tunisie a toujours compté parmi ses enfants une forte communauté juive qui participa de manière active à la vie de la cité et qui vivait dans les quartiers appelés Hara. Mais ce que beaucoup ignorent c’est le pourquoi du mot «Hara» qui veut dire : quatre …
L’installation juive en Tunisie se perd dans l’histoire… Certains parlent de leur fuite lors de la prise de Jérusalem par Titus en 70 après J.-C., emportant avec eux l’une des torahs les plus anciennes. D’autres évoquent une installation au 3e siècle avant J.-C.
On raconte qu’au 10e siècle, Tunis était la ville la plus importante du royaume. Pas encore capitale, elle en avait pourtant toutes les qualités : économie florissante, stabilité politique. Elle jouissait d’une paix qui se répercutait sur l’architecture, et elle rivalisait avec Kairouan. De hautes murailles protégeaient ses habitants.
Le tableau aurait pu être idyllique si les juifs, qui commençaient à avoir un poids économique important, n’étaient pas obligés de quitter la ville une fois la nuit tombée. En effet, leurs campements étaient livrés aux attaques et aux pillards tous les soirs pas loin du quartier de Melassine. La situation ne pouvait plus durer. Ils devaient donc trouver un moyen pour vivre protégés par les murailles et ne plus à avoir à quitter la ville tous les jours.
Une collection d’armes
En ces temps- là, Sidi Mahrez était le personnage le plus important de la ville; il était également un conseiller très proche du sultan de l’époque, qui était connu pour être un collectionneur d’armes. Plus elles étaient rares et chères plus il s’acharnait à les rajouter à sa collection déjà bien garnie.
C’est alors que lors d’un conseil des rabbins et autres personnages importants, on décida d’une ruse qui permettra à la communauté de faire partie définitivement de la ville.
Pendant des mois, les artisans bijoutiers juifs ont dû travailler jour et nuit dans le plus grand secret à la confection d’une arme fabuleuse : un poignard en or et pierres précieuses. Cette arme se devait d’être exceptionnelle, aucun roi ni sultan en orient ni chez les mécréants du nord ne devait avoir une arme qui pourrait égaler celle-ci.
Quand ils eurent terminé, le Grand rabbin se présenta devant le prince et lui tint ce discours en lui offrant bien évidemment l’arme en présent pour sa grande sagesse : «Nos frères, qui étaient partis faire du commerce au-delà des mers, sont rentrés avec ce poignard. Nul personnage à Tunis, autre que vous, ne peut la posséder. C’est pourquoi nous avons décidé de vous l’offrir».
Le prince fut ébloui et en voulant récompenser le rabbin celui-ci rajouta : «Nos frères nous ont aussi rapporté qu’un autre poignard identique existe mais ils n’ont pas pu le trouver ! Ils n’en savent rien; est-il chez un roi d’Orient, ou chez l’empereur de Byzance ?»
Sur ce il refusa de prendre sa récompense et se retira, laissant le prince dans une colère noire. Celui- ci n’étant pas habitué à ne pas avoir ce qu’il voulait, ordonna à Sidi Mahrez de partir à la recherche de cette dague prestigieuse, sa collection ne pouvant être complète sans cette dernière.
On prépara l’expédition et Sidi Mahrez prit la mer et partit à la recherche de cette arme pour calmer son prince qui devenait malade d’envie.
Des semaines et des mois passèrent, Sidi Mahrez visitant les terres des rois et des sultans et ne trouvant rien dans ce qui était connu du monde à cette époque, comprit que cette dague n’existait pas, se décida de rentrer et de convoquer le vieux rabbin pour comprendre pourquoi il avait menti à Sidna (notre prince).
En apprenant le retour de Sidi Mahrez, le rabbin prit les devants et se présenta à lui le soir, déguisé pour s’entretenir avec lui : «Nous sommes tous les soirs obligés de partir, nos biens, nos femmes et nos sœurs sont la proie de brigands qui nous attaquent et nous laissent dans le plus grand désarroi. Nos artisans ont façonné la deuxième arme pendant votre absence. Nous vous l’offrons à condition de laisser quatre de nos familles vivre derrière les murailles de Tunis».
Le dénouement
Sidi Mahrez, pris de compassion pour ce vieux personnage, lui promit qu’en échange de l’arme tant désirée par Sidna, il offrirait le refuge demandé pour ces quatre familles. Sur ce, il monta sur le toit de sa maison dans le quartier de Bab Souika, prit sa canne et la jeta. Là ou elle tombera sera le quartier de ces quatre familles à condition de se distinguer des habitants musulmans en portant une chéchia noire.
Le jeu des alliances et des liens du sang fit en sorte que toute la communauté juive pouvait être résumée en quatre familles. C’est ainsi que la totalité de cette communauté fut protégée et c’est pour cela que leur quartier portera le nom de Hara, en référence aux quatre familles.
On ne saura jamais si Sidi Mahrez avait compris la ruse des quatre familles ou si le vieux rabbin avait réussi l’exploit de jouer avec l’esprit si sage du Saint patron de la ville.
Voilà pour la légende, relayée par les juifs de Tunis, mais que dit l’histoire ?
Sidi Mahrez, de son vrai nom Abou Mohamed Mahrez Ibn Khalaf, né en 951 à l’Ariana et mort en 1022 à Tunis, est un saint vénéré par les Tunisois.
Sous sa conduite, Tunis a retrouvé la paix et on lui attribue d’avoir pris la communauté juive sous sa protection : la tradition veut qu’il lui ait assigné un quartier spécial – la Hara – à proximité de sa demeure, ce qui lui a conféré une inviolabilité que nul n’aurait osé transgresser, alors qu’elle était auparavant exclue de la cité dès la fermeture des portes et contrainte d’aller passer la nuit hors des remparts, dans les environs de Mellassine.
D’après Tribune Juive.
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