Du contenu de l’entretien téléphonique entre le président Kaïs Saïed et son homologue français, Emmanuel Macron, qui a eu lieu samedi après-midi, 3 juin 2023, on ne sait que ce que la présidence du gouvernement tunisien en a rapporté, la partie française n’ayant pas encore communiqué à ce sujet sur ses canaux habituels.
Par Imed Bahri
Selon Tunis, plusieurs sujets ont été évoqués, dont la migration irrégulière et les difficultés économiques et financières auxquelles la Tunisie est confrontée.
La rencontre a été l’occasion pour le chef de l’Etat d’expliquer sa position sur les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), soulignant que les recommandations émises par cette institution monétaire risquent de déstabiliser la paix sociale, indique le communiqué du Palais de Carthage.
Dans ce contexte, le chef de l’Etat a rappelé les événements du 3 janvier 1984, lorsque des centaines de personnes sont mortes après que l’Etat a décidé d’arrêter de subventionner les produits céréaliers et leurs dérivés. «La paix civile n’a pas de prix», a souligné le président Saïed, en évoquant la possibilité de proposer une nouvelle alternative, celle de taxer ceux qui n’ont pas besoin de subventions, afin d’assurer le financement pérenne du fonds de subvention.
Les réticences de Kaïs Saïed
Rappelons à ce propos que les réformes proposées par l’Etat tunisien et approuvées par le FMI comme condition pour accorder à la Tunisie un prêt de 1,9 milliard de dollars comprennent la réduction des subventions sur l’alimentation et l’énergie, la restructuration des entreprises publiques, y compris leur privatisation partielle ou totale, et la réduction de la masse salariale du secteur public, réformes au sujet desquelles le président Saïed a souvent exprimé de sérieuses réserves estimant qu’elles pourraient impacter négativement la paix civile dans le pays. Et c’est ce qu’il a réitéré dans son entretien avec son homologue français, espérant sans doute voir ce dernier plaider en faveur de la Tunisie auprès des institutions prêteuses internationales, où la France a son mot à dire.
Par ailleurs, le président Saïed a affirmé que «tout comme la justice doit prévaloir à l’intérieur des pays, elle doit aussi régir les relations internationales», soulignant que «l’humanité tout entière aspire à une nouvelle ère de son histoire où prévaudront la justice, la liberté, la sécurité et la paix», laissant ainsi entendre que les relations internationales restent marquées par les inégalités et défavorables aux peuples pauvres.
L’appel téléphonique a aussi permis de faire le point sur les difficultés économiques et financières auxquelles la Tunisie est confrontée «en raison des politiques défaillantes adoptées au cours des décennies précédentes, notamment la décennie qui a suivi le 14 janvier 2011», indique le même communiqué, qui affirme que la question des fonds des Tunisiens volés et détournés à l’étranger a également été évoquée lors de l’entretien téléphonique. Lequel a été l’occasion de débattre du phénomène de la migration irrégulière.
A cet égard, le chef de l’Etat a souligné que les solutions ne peuvent reposer uniquement sur la sécurité, ajoutant que l’expérience a montré l’inefficacité de cette approche limitée. «La Tunisie n’est plus seulement une zone de transit, mais est devenue une destination pour de nombreux migrants qui s’y sont installés illégalement», a expliqué le président tunisien, en soulignant la nécessité de s’attaquer aux causes profondes du problème et pas seulement aux résultats et effets, rappelant son initiative d’organiser une conférence de haut niveau impliquant tous les pays concernés par cette question.
Les réserves des pays occidentaux
Cette proposition ne semble pas faire des émules. Elle n’a, en tout cas, suscité pour l’instant aucune réaction officielle de la part des responsables des Etats concernés, au nord comme au sud de la Méditerranée. Et comme Paris n’a pas encore communiqué à propos de l’entretien Saïed-Macron, on ne sait pas si les arguments présentés par le chef de l’Etat ont convaincu son homologue français et s’ils ont permis de dissiper les nuages qui encombrent les relations entre les deux pays depuis plusieurs semaines, surtout que la France donne l’impression de s’aligner sur les positions de ses partenaires du G7 à propos de la situation en Tunisie, notamment les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne, qui n’ont de cesse d’appeler le «gouvernement tunisien à répondre aux aspirations démocratiques de sa population, à améliorer la situation économique du pays et à parvenir à un accord avec le FMI», phrase tirée de la déclaration finale du dernier sommet du G7, le 20 mai dernier, à Hiroshima, au Japon.
Il semble clair, aujourd’hui, que les analyses de Kaïs Saïed sur la plupart des sujets d’intérêt commun ont du mal à être partagées par ses homologues occidentaux. Qu’il s’agisse du processus politique engagé par le président Saïed, des engagements de la Tunisie dans le cadre de ses négociations avec le FMI ou des «fonds volés aux Tunisiens et détournés à l’étranger» (sic !) ou encore de la responsabilité des Tunisiens eux-mêmes dans la situation où se trouve aujourd’hui leur pays, les capitales occidentales attendent plus d’engagement et de responsabilité de la part des Tunisiens, qui donnent l’impression de vouloir se défausser de toutes leurs erreurs et de tous leurs errements sur les autres, et notamment sur les pays occidentaux.
Est-ce l’impasse ?
Ce sentiment, s’il n’est pas clairement exprimé lors des discussions bilatérales avec les responsables tunisiens, semble inspirer les réserves qu’ont les partenaires occidentaux à engager de nouvelles aides macroéconomiques au profit de la Tunisie qui, en l’absence de réformes structurelles sérieuses et surtout politiquement assumées, ne donneraient pas, de leur point de vue, les résultats escomptés, à savoir la relance de la croissance économique, le seul véritable remède pour sortir de la crise, rétablir la confiance et relancer l’investissement.
Il reste à se demander s’il est encore possible de rapprocher les points de vue, de dissiper les malentendus et les incompréhensions de part et d’autres et d’engager un vrai plan de sauvetage de la Tunisie assumé par les responsables tunisiens et bénéficiant du soutien franc et concret des partenaires occidentaux. Penser qu’il y a une autre solution possible, c’est tirer des plans sur la comète et faire perdre encore du temps à un pays qui sombre chaque jour un peu plus dans la crise.
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