L’idée d’une conférence internationale sur la migration en Méditerranée, qui réunirait les représentants des Etats concernés au nord comme au sud de la Mare Nostrum, est née en Tunisie en… 2019. Mais c’est l’Italie qui va finalement s’atteler à son organisation, conformément à son agenda et à ses objectifs. Que peut-on sérieusement en attendre ?
Par Imed Bahri
Pour rendre à Mohsen Marzouk ce qui lui appartient, nous devons rappeler que le président du parti Mashrou Tounes a été le premier à avoir lancé l’idée d’une telle conférence.
Il en a parlé, souvenons-nous, lors de sa campagne électorale pour la présidentielle de 2019. Il en a aussi parlé au président de la république Kaïs Saïed, lors de leur rencontre au palais de Carthage au lendemain de l’investiture de ce dernier. Mais Saïed a attendu plus de trois ans pour la proposer au ministre italien de l’Intérieur Matteo Piantedosi, le 15 mai dernier, puis au Premier ministre Giorgia Meloni, le 6 juin courant. Celle-ci n’a pas tardé à s’approprier l’idée et à annoncer, à l’issue de la rencontre avec Saïed, la tenue prochainement à Rome d’une conférence internationale pour débattre du sujet de la migration illégale.
Meloni fait feu de tout bois
«Nous l’imaginons comme une opportunité de réunir les nations des rives sud de la Méditerranée, du Moyen-Orient, les pays du Conseil de coopération du Golfe, pour écouter les différents besoins et créer des projets sur lesquels attirer des financements en impliquant le secteur public ainsi que le secteur privé», a-t-elle expliqué, avant-hier, à Tunis. Et d’ajouter : «Nous ferons de notre mieux pour imaginer un événement de ce type dans les plus brefs délais, pour renouveler l’engagement commun d’aborder les facteurs politiques mais aussi socio-économiques, climatiques qui déterminent la migration, pour promouvoir les lois sur les parcours de mobilité et lutter efficacement contre la traite des êtres humains et le trafic de migrants».
On peut, bien sûr, se féliciter que l’idée soit désormais adoptée par l’Italie, en espérant que Mme Meloni saura y associer les dirigeants des autres Etats concernés au nord et au sud de la Méditerranée. Mais on aurait aimé voir la Tunisie, qui la première en eut l’idée, s’atteler elle-même à organiser et à abriter cette conférence internationale.
Interrogé à ce sujet par Kapitalis, Mohsen Marzouk a répondu : «Je suis évidemment satisfait que Kaïs Saïed ait fait de ma proposition une initiative tunisienne. Sans me nommer, bien sûr, ce qui va de soi en Tunisie où la non-reconnaissance est une règle absolue. Mais le problème est que cette idée risque de ne pas réussir à défaut d’une méthodologie d’approche bien particulière».
Le président de Mashrou Tounes estime que la diplomatie tunisienne aurait dû travailler en amont pour préparer le terrain à la tenue d’une telle conférence, avant son annonce par le président, ce qui n’a malheureusement pas été fait.
Un autre rendez-vous raté
«Il aurait fallu établir un processus, imprimer une dynamique, notamment au sud de la Méditerranée, pour harmoniser les positions, en vue de créer une zone géopolitique Afrique du Nord – Sahel Africain avant de s’adresser au Nord, et ce, afin de garantir le succès d’une telle conférence. Mais cela n’a pas été fait. Et c’est Mme Meloni qui s’est emparée de la proposition faite par le président Saïed, et qui va s’employer, en la mettant en œuvre, à donner un nouveau souffle à son gouvernement très affaibli par l’aggravation des flux migratoires», estime encore Mohsen Marzouk. Qui s’interroge : «Et que gagnera la Tunisie dans tout cela ? Que dalle !»
En effet, et si l’on s’en tient aux déclarations de Mme Meloni à ce sujet, la présidente du conseil italien semble vouloir entraîner les pays du Golfe dans la recherche d’une solution au problème migratoire de la région, espérant trouver des financements arabo-européens à d’éventuels projets de développement dans la rive sud de la Méditerranée, ce qu’elle aura sans doute beaucoup de mal à obtenir.
Elle tentera aussi, on l’imagine, d’axer la prochaine conférence sur les thématiques sécuritaires afin de redorer le blason de son gouvernement, qui est en train d’échouer dans la principale mission qu’il s’était donnée : réduire les flux migratoire en provenance de la Tunisie et de la Libye.
Quant à nous autres Tunisiens, il nous restera le mérite d’en avoir parlé… Mais trop vite et trop tôt!
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