Crise des migrants : la Tunisie dans la tourmente

L’immigration irrégulière à partir des côtes tunisiennes vers l’Italie continue de susciter de vives préoccupations alors que les négociations et les accords, déclarés ou non, se poursuivent entre les deux pays. Les dernières statistiques relatives à ce fléau mettent en évidence une tendance inquiétante : une augmentation du pourcentage de morts et de disparus parmi les migrants irréguliers.

Par Hssan Briki  

Le 5 août 2023, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une organisation non gouvernementale, a publié un rapport intitulé «Les drames de la migration non règlementaire sur les côtes de la Tunisie en 2023» , où il présente des statistiques dramatiques sur l’immigration depuis le début de l’année jusqu’au 31 juillet, ainsi qu’une analyse des évolutions et des changements dans les dynamiques de l’immigration irrégulière. Les données analysées sont puisées dans des rapports officiels et des témoignages, souvent poignants, de survivants qui ont bravé ces eaux tumultueuses de la Méditerranée et ont vu leurs compagnons d’infortune se noyer. 

Les vagues des disparus  

Les chiffres pour l’année en cours sont particulièrement préoccupants, car bien que le nombre total des arrivées de migrants tunisiens en Italie ait diminué par rapport aux années précédentes, avec 6 087 migrants ayant atteint les côtes italiennes du 1er janvier au 31 juillet, contre 7 458 en 2022 et 7 007 en 2021, cette baisse soulève des questions cruciales concernant le rôle de la Tunisie en tant que garde-frontière pour l’Europe.

Notre pays, qui joue le rôle de tampon en contrôlant les flux migratoires en partance de ses côtes vers celles de l’Italie, est confronté à des enjeux majeurs alors que le nombre des migrants interceptés s’élève, au cours de la même période, à 35 143, dont 90 % ne sont pas Tunisiens. 

Cependant, le chiffre le plus choquant reste celui des disparus et des décès en mer. Avec 901 vies perdues en sept mois, cette année va surpasser les sombres statistiques de l’année précédente, qui avait enregistré 581 morts. Cette hausse des pertes humaines témoigne des risques extrêmes auxquels sont confrontés les migrants lors de leur traversée périlleuse de la Méditerranée et des conditions de plus en plus improbables dans lesquelles ces derniers prennent la mer, souvent dans des barques de fortune dénuées des moyens élémentaires de sécurité.

Ces tragédies pourraient être en partie expliquées par les témoignages récents recueillis auprès des survivants, dont les récits évoquent des violences perpétrées par les gardes-côtes tunisiens. Ces allégations d’abus soulignent une utilisation excessive de la force, avec l’usage, dans certains cas, de gaz lacrymogène pour arraisonner l’équipage.

Il faut dire aussi que les candidats à la migration irrégulière ne se laissent pas faire et réagissent souvent violemment en s’en prenant aux gardes-côtes pour que ces derniers les laissent partir. Les forces de sécurité tunisiennes seraient donc bien inspirées de documenter ce genre de situation pour pouvoir répliquer aux accusations dont elles font souvent l’objet à ce propos de la part des organisations et des médias internationaux.        

Femmes et mineurs en péril  

Un autre aspect alarmant de cette crise est la présence croissante de femmes parmi les migrants. En 2023, le nombre de migrantes irrégulières débarquées en Italie s’élevait à 379, contre 363 en 2022, 244 en 2021, 134 en 2020 et seulement 36 en 2019.

Cette évolution met en lumière les défis spécifiques auxquels sont confrontées les femmes qui risquent leur vie dans l’espoir d’un avenir meilleur pour elles et parfois aussi pour leurs enfants. Les statistiques révèlent en effet une augmentation du nombre de mineurs impliqués dans ces dangereux voyages. En 2023, pas moins de 1556 arrivées de mineurs ont été enregistrées, poursuivant ainsi une courbe croissante qui était déjà observée en 2022 avec 1 602 mineurs arrivés en Italie et en 2021 avec 1 476 mineurs. Cela contraste de manière frappante avec les chiffres de 2020 (615 mineurs) et de 2019 (192 mineurs). 

Des chercheurs observent une évolution vers une migration familiale, où les femmes et les mineurs deviennent de plus en plus exposés aux périls du voyage, ce qui aggrave le phénomène et crée des situations encore plus dramatiques. 
Au-delà de leur froideur statistique, ces chiffres résonnent comme un cri d’alarme lancé par une humanité en péril. Ils renforcent les questionnements déjà présents sur le sort des accords sur la gestion migratoire passés entre la Tunisie et l’Italie, et la Tunisie et l’Union européenne.

Alors que les taux d’expulsions forcées augmentent de façon constante et que les anticipations demeurent incertaines, la Tunisie, contrairement aux autres pays émetteurs de migrants, accepte le retour de ses ressortissants renvoyés d’Europe, lesquels viennent grossir les rangs des chômeurs et, parfois même, des délinquants. Dans cette situation complexe, parfois ingérable, toujours dramatique, la crise des migrants, nationaux et étrangers et notamment subsahariens, plonge la Tunisie dans une tourmente où les problèmes intérieurs sont aggravés par les pressions extérieures.

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