L’horizon politique en Tunisie s’enfonce dans l’incertitude à mesure que les décisions présidentielles s’enchaînent de manière souvent impulsive et dénuée de vision à long terme. Depuis la mise en place de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, la multiplication des limogeages de hauts responsables de l’Etat par décrets présidentiels suscitent des questions quant à la méthode de gouvernance de Kaïs Saïed, qui consiste non pas à remédier aux problèmes structurels qui empoisonnent la vie des gens et paralysent la machine économique, mais à s’en défausser sur les autres et à en imputer la responsabilité à tel ou tel responsable.
Par Hssan Briki
C’est ce qui s’est d’ailleurs passé mardi 22 août 2023, lorsque le gouverneur de Kairouan, Mohamed Bourguiba, a été congédié par décret présidentiel. On lui a imputé la responsabilité du retard enregistré dans le démarrage des travaux de construction de l’hôpital Mohammed Bin Salman financé par un don de l’Arabie saoudite et dont l’accord remonte à 2017.
Chasse aux sorcières
Depuis que le président Saïed a accaparé tous les pouvoirs au sein de l’Etat en proclamant l’état d’exception jusqu’à ce jour, on ne compte plus les départs forcés de hauts responsables et les postes restés sans titulaires. Avec 24 limogeages en 2023, 16 en 2022 et 24 en 2021, on a dénombré un total de 64 destitutions brutales de hauts fonctionnaires (ministres, Pdg, gouverneurs, etc.), sans tenir compte des 57 magistrats révoqués en juin 2022, également par décret présidentiel, et dont la justice, où règne un climat de peur, a encore du mal à se remettre.
Ces limogeages, souvent non expliquées, et qui tiennent plus de la chasse aux sorcières que d’une simple rotation de responsables, touchent souvent des personnes réputées proches du président et promues par lui aux postes qu’ils ont occupées, tels les anciens chefs de gouvernement Elyes Fakhfakh et Hichem Mechichi, et l’ancienne directrice du cabinet présidentiel Nadia Akacha, ou encore l’ancien ministre des Affaires étrangères, Noureddine Erray. Ces limogeages ont aussi des répercussions négatives sur le fonctionnement des institutions concernées, d’autant que les responsables limogés ne sont pas toujours aussitôt remplacées. On imagine les flottements que ces limogeages induisent dans le travail de l’administration publique et le climat d’incertitude voire d’inquiétude qu’elles y font régner.
Le problème de ces limogeages c’est qu’ils règlent rarement les problèmes structurels constatés dans tel ou tel secteur vital, tout e, traduisant une volonté d’éviter de les confronter pour leur trouver des solutions, souvent complexes, impopulaires et douloureuses.
Opportunité ratée
Pourtant, et sans entrer dans le débat politique sur sa légalité et/ou légitimité, l’état d’exception aurait pu être une opportunité pour réformer en profondeur les lois et les procédures, afin de s’attaquer aux problèmes structurels qui entravent le développement du pays depuis longtemps. La popularité dont jouit Kaïs Saïed, inexplicable pour ses opposants étant donné son très maigre bilan sur tous les plans, aurait pu également être un atout considérable pour mettre en place les réformes profondes longtemps attendues et pour bâtir un consensus national autour de changements audacieux, notamment dans le domaine économique. Mais cet alignement des planètes, dont les prédécesseurs de Saïed n’ont pas bénéficié, n’a malheureusement pas été bien exploité pour améliorer les politiques publiques, restées inchangées, et toujours basées sur la recherche d’une paix sociale aussi improbable que précaire et provisoire.
Plutôt que d’utiliser le capital de confiance dont on le crédite pour mobiliser les Tunisiens autour d’un projet de redressement national, Saïed a préféré une gouvernance unilatérale pour la mise en œuvre de son projet politique personnel, sans résultats probants jusque-là. Même sur le plan économique, ses deux propositions majeures, les sociétés communautaires et la réconciliation pénale, n’ont donné aucun résultat jusqu’à présent.
L’approche du président tend à expliquer les problèmes complexes par l’existence de vagues complots contre l’Etat. En simplifiant les défis profonds du pays, les réduisant à des intrigues orchestrées par des ennemis imaginaires, il détourne l’attention de sa responsabilité personnelle en les imputant, tour à tour, aux opposants, au gouvernement et à l’administration publique, ne craignant pas de saper la crédibilité de l’Etat qu’il est censé incarner.
Plutôt que d’identifier les véritables causes des problèmes auxquels la Tunisie est confrontée, Saïed recourt à cette perspective complotiste qui, au final, entrave la formulation de solutions appropriées et l’empêche lui-même de réaliser des progrès tangibles dans aucun domaine, mettant ainsi en péril le développement et la stabilité de la Tunisie, qui continue de s’enfoncer dans la crise sans la moindre lueur d’espoir à l’horizon.
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