Le mouvement de Dayanand Saraswati a non seulement échoué à supprimer le système des castes en Inde, mais il l’a aussi infecté avec le virus d’un nationalisme sectaire qui imprègne actuellement une grande partie de la population, ainsi que le BJP, le parti nationaliste hindou, actuellement au pouvoir. L’Inde étant en voie de devenir une puissance mondiale, on ne mesure pas encore toutes les conséquences de cette évolution.
Par Dr Mounir Hanablia *
Comment d’une religion idolâtre reflétant les forces cosmiques, encadrée par un clergé exerçant sur la pensée un contrôle absolu au nom du monopole de l’interprétation du texte sacré et enseignant une notion cyclique du temps, peut-il naître un courant monothéiste doté d’une vision linéaire du temps, et donc du sens (politique) de l’Histoire, et contestant la domination de ce même clergé au nom même du texte qu’il monopolise?
Ce n’est pas d’Akhenaton, de Moïse, ou de Mohamed qu’il s’agit, mais d’un obscur prêcheur hindou originaire du Gujarat indien né en 1825, qui un jour à l’âge de 14 ans lors d’une cérémonie hindoue requérant le jeûne et la privation de sommeil, constata dans le temple, en présence d’une assemblée en majorité plongée dans le sommeil, comment une souris, animal impur pour les Hindous, venait consommer les offrandes déposée aux pieds de l’idole locale, en l’occurrence celle du Dieu Shiva.
Sur les voies du renoncement
Cette révélation relativement à l’inanité de l’adoration des idoles fut le début d’une quête du savoir qui l’entraîna vers l’étude du sanskrit, puis à l’âge de 21 ans, après le refus du mariage arrangé par ses parents, sur les voies du renoncement et de la mendicité de par les routes de l’Inde, depuis Puna dans le Maharashtra jusqu’à l’Himalaya, afin d’entrer en contact avec les maîtres spirituels les plus connus de leur époque.
Au fil du temps il devint un grand tribun et un redoutable polémiste utilisant les védas dans son argumentation, dénonçant les aspects les plus critiquables de l’Hindouisme, à savoir les pèlerinages et les bains dans les rivières, les offrandes aux idoles et l’idolâtrie, les castes, les mariages d’enfants, l’interdiction du mariage des veuves, le tantrisme ou culte de la jouissance sexuelle, tout en prônant surtout l’acquisition du savoir par l’instruction, et la foi en un Dieu unique créateur omnipotent et juge des actions humaines, récompensant les bons et châtiant les mauvais.
Evidemment cela lui valut une grande renommée, beaucoup de partisans, tout comme l’inimitié des Brahmanes, les prêtres hindous, dont il sapait la légitimité en dénonçant autant leur cupidité que leurs tentatives d’asseoir dans les esprits des superstitions chargées de pérenniser leur emprise.
Ainsi au cours d’une discussion, évoquant le trait blanc tracé sur les fronts des fidèles de Vishnou et censé les conduire au paradis, il supposa que le blanchiment de la totalité de la face aurait des résultats encore plus extraordinaires. Il fut victime de plusieurs tentatives d’assassinat, mais le dernier lui fut fatal. Néanmoins son succès le conduisit à créer un mouvement en 1875, l’Arya Samaj ou Société des Aryens, chargée de l’instruction des fidèles, de la prise en charge des orphelins, mais aussi de la protection de la vache. Et partout où il se rendait et enseignait, des sections locales étaient créées, afin de convertir les foules, et de les encadrer grâce à l’action sociale et à l’instruction.
Fut-il influencé dans l’établissement de sa révélation nouvelle par l’Islam, le Christianisme, et le Sikhisme, les trois grandes religions monothéistes en Inde? Probablement. Ses critiques des brahmanes ne diffèrent que peu de celles de Kabir ou de Nanak. Des membres de la Théosophie, un mouvement considéré par beaucoup comme une supercherie, se sont pendant un certain temps au moins, intéressés à son mouvement, lui conférant une dimension internationale, en particulier lorsqu’il prêchait les valeurs éthiques communes à toutes les religions tout en en dénonçant les tares. Le fait qu’ils aient plus tard pris leur distance peut s’expliquer par le ton de plus en plus spécifiquement hindou du mouvement.
Communautarisme, nationalisme et séparatisme
La vision historique de l’Arya Samaj, tout à fait étrangère à l’Hindouisme, en considérant l’Inde comme un pays occupé par les étrangers, mérite l’attention. Si les étrangers en question sont bien à l’époque les Anglais, dont d’aucuns parmi les Hindous ont pris l’habitude de vanter les bienfaits de leur occupation pour le pays, les Musulmans sont tout autant considérés en tant qu’étrangers comme l’altérité nuisible, ou à tout le moins comme des Hindous convertis qu’il est licite de faire revenir à leur foi première, l’Hindouisme… tout comme les Sikhs d’ailleurs. Ainsi beaucoup de militants de l’indépendance, parmi ceux qui ont été exécutés ou sont morts dans les geôles anglaises, ont été Aryasamajis.
Néanmoins l’effort missionnaire visant les Musulmans et les Sikhs au Punjab a eu comme conséquences que ces communautés s’estimant à juste titre menacées ont développé leurs propres structures politiques et sociales pour résister. C’est ainsi que le communautarisme en est sorti renforcé, conduisant plus tard à la création du Pakistan, au mouvement séparatiste Sikh au Punjab, mais aussi à l’accession au pouvoir des partis nationalistes hindous contemporains, investis par les hautes castes défendant leurs intérêts.
C’est un Brahmane, Godsé, membre d’un parti nationaliste, le RSSS, qui a assassiné le mahatma Gandhi, mais ce sont des idées inspirées par l’Arya Samaj, ainsi que la perte de la vallée de l’Indus au bénéfice du Pakistan, qui expliquent son geste. Ce sont toujours ces mêmes Brahmanes, ainsi que le BJP, le parti nationaliste hindou, actuellement au pouvoir, qui ont mené les foules détruire la mosquée à Ayodhya en 1993.
Aujourd’hui l’Inde s’apparente pour les Musulmans à ce qu’était l’Allemagne pour les Juifs au temps des Nazis: exclusion, persécution, emprisonnement, lynchage.
Dayanand Saraswati avait certes eu pour objectif de débarrasser l’Hindouisme des scories de la superstition, de l’idolâtrie, de la misogynie, afin d’en faire le levier de la puissance de son pays. Néanmoins en cherchant à convertir les minorités, il voulait supprimer la diversité et créer un pays et un Etat exclusivement hindous. Ce faisant, tout en échouant à en supprimer le système des castes, il l’a infecté avec le virus d’un nationalisme sectaire qui imprègne actuellement une grande partie de la population. L’Inde étant en voie de devenir une puissance mondiale, on n’en mesure pas encore toutes les conséquences.
* Médecin de libre pratique.
‘‘The autobiography of Dayanand Saraswati’’, K.C. Yadav Edition, 1987, 134 pages
Donnez votre avis