Si l’Europe n’a pas intérêt dans l’exacerbation de la crise que vit la Tunisie à la suite de la décennie noire et du détournement du processus démocratique par une coalition islamo-mafieuse, la Tunisie à son tour aurait beaucoup à perdre de toute crise prolongée ou déstabilisation de l’Europe.
Par Elyes Kasri *
Afin de dissiper les malentendus avec la Tunisie, exacerbés par le mémorandum d’entente sur un partenariat stratégique et global entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), signé à Carthage le 16 juillet 2023, qui a aggravé la confusion dans les relations entre la notre pays et son principal partenaire économique, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, avait formulé, le 7 octobre dernier, le souhait de réunir le Conseil d’association Tunisie-UE avant la fin de l’année en cours, donc d’ici la mi-décembre 2023, en tenant compte des contraintes de calendrier dues aux vacances de fin d’année en Europe.
Des opportunités ratées
Le débat au palais du Bardo lors de l’adoption du budget du ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, le 22 novembre, qui a donné lieu à des échanges et des scènes à oublier, aurait pu être l’occasion d’aborder la problématique des relations tuniso-européennes dans un monde en pleine mutation et en crise post-Covid et des retombées des combats en Ukraine et en Palestine occupée.
Le débat aurait pu être centré sur les opportunités et nouvelles pistes de positionnement de la Tunisie sur la scène internationale et de renforcement des relations de coopération avec les pays partenaires susceptibles de contribuer aux réformes engagées en Tunisie ainsi qu’au processus de relance économique de même qu’une approche plus globale et à long terme de la problématique migratoire principalement avec l’UE.
Le Conseil d’association Tunisie-UE, plus haute instance de consultation et de coopération avec notre principal partenaire, ne s’est pas réuni depuis 2019 (XVe, tenu le 17 mai 2019 à Bruxelles) en dépit de sa fréquence censée être annuelle.
De nombreux observateurs considèrent que l’état et le climat actuels des relations tuniso-européennes desservent les intérêts de la Tunisie tant au regard des opportunités ratées d’obtention d’une aide conséquente au développement notamment à travers des mécanismes communautaires comme les fonds structurels, que de l’investissement, du commerce international et des intérêts de la colonie tunisienne en Europe qui constitue la destination de prédilection des migrants tunisiens toutes catégories confondues.
Gesticulations contre-productives
L’objectif de diversification des champs de la coopération tuniso-européenne et de son intensification dicte une consultation multisectorielle tuniso-tunisienne préalable afin de recueillir les doléances et propositions des acteurs et intervenants nationaux dans tous les secteurs de coopération afin de présenter lors du prochain Conseil d’association un programme stratégique et multisectoriel en vue d’une coopération élargie gagnant-gagnant servant les intérêts à long terme de la Tunisie.
Les gesticulations et vociférations à l’encontre des pays et ambassadeurs européens ne contribuent pas à créer des conditions propices pour un dialogue serein et productif susceptible de hisser les relations et la coopération tuniso-européennes au niveau requis par nos intérêts et les exigences de toute sortie de crise et de relance économique durable en Tunisie.
Même si certains peuvent reprocher aux pays européens un certain parti-pris pro-israélien, bien qu’une tendance au rééquilibrage commence à se faire sentir, la sagesse et les intérêts supérieurs de la Tunisie dictent de faire la part des choses et de prendre conscience que la Tunisie ne peut prétendre dicter à l’Europe ses positions internationales mais a le devoir d’œuvrer à des compromis et à la mise en place de leviers de développement et de sécurité mutuels car la Tunisie et l’Europe sont condamnés par l’histoire et la géographie à faire partie de la sécurité de l’autre.
Si l’Europe n’a pas intérêt dans l’exacerbation de la crise que vit la Tunisie à la suite de la décennie noire et du détournement du processus démocratique par une coalition islamo-mafieuse, la Tunisie à son tour aurait beaucoup à perdre de toute crise prolongée ou déstabilisation de l’Europe.
Une diplomatie de développement
La volatilité de la scène internationale et les exigences de sortie de crise et de relance économique nécessitent une meilleure appréciation du potentiel offert par un partenariat mieux étudié, plus habilement négocié et plus ambitieux avec l’UE.
C’est le principal défi de la Tunisie dans le cadre d’une réorganisation de ses priorités et négociations ainsi que d’un rôle plus clair et plus engagé de la diplomatie tunisienne qui doit être le fer de lance d’un processus serein et inclusif de redéfinition des relations et de la coopération tuniso-européennes en dépassant le cadre éculé et incantatoire de ce qui est qualifié de diplomatie économique tiraillée entre une pléthore de ministères et d’agences gouvernementales, mais plutôt en vue d’une diplomatie de développement qui ferait du ministère des affaires étrangères le chef de file et le coordinateur transversal de nos relations et coopération internationales multisectorielles, loin de la cacophonie et des dysfonctionnements qui ont abouti à la situation actuelle de contre performance, de déception et de rancœurs.
* Ancien ambassadeur.
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