Poète, essayiste, homme de radio, André Velter est en 1945 à Signy-l’Abbaye, dans les Ardennes françaises. Il a choisi de vivre en voyageur, notamment en Afghanistan, au Tibet, au Népal, en Inde. (Photo: Sophie Neuleau).
Il publie principalement chez Gallimard (livres récents : Jusqu’au bout de la route, Séduire l’univers, Trafiquer dans l’infini) et chez Actes Sud avec Ernest Pignon-Ernest (Ceux de la poésie vécue, Annoncer la couleur, Au feu du désir même). Il a créé et animé l’émission Poésie sur Parole (France Culture 1987-2008), dirigé la revue Caravanes (éditions Phébus 1989-2003) et la collection Poésie/Gallimard(1998-2017).
Heureux de donner à lire aux lecteurs de la rubrique ‘‘Le poème du dimanche’’ l’une des voix puissantes et marquantes de la poésie de langue française contemporaine.
Tahar Bekri
Devant lui
L’homme au grand chapeau, le vagabond de Zoran Music, revient quand l’heure est passée – et ponctuel pourtant.
Sur les chemins de nulle part, tracés une fois pour toutes de Venise à Trieste et d’Udine à Dachau, il suit d’impossibles caravanes, tandis que les chiens aboient à leur ordinaire.
C’est qu’il n’est d’aucun monde, surtout pas de celui des hommes à tête de fonctionnaire, d’idéologue ou de bourreau qui régentent l’agencement tribal et les charniers.
Seul le peu de poussière qui se lève devant lui rythme son exil, son irrémédiable départ, et les bienfaits du vent – dans le sillage à demi effacé des petits chevaux dalmates de son enfance.
Les mêmes cartes
Les poètes grecs se demandent souvent,
entre mythologie réactivée
et sédiments de massacres,
ce qu’il en est du poème,
et s’il est possible de repérer un poème réussi
tandis que l’on rebat indéfiniment les mêmes cartes
en attendant le joker qui ne viendra pas.
Le jeu des mots n’est pas un simple jeu de mots.
Il y a des atouts défaillants,
des Dames de pique sans cœur,
des Valets hors d’usage,
des couleurs qui s’évadent,
des impasses symphoniques,
et un complice toujours, qui fait le mort.
La partie ne se gagne ni ne se perd.
Il y a des noms d’oiseaux malades,
des chutes de sens et de sons,
des bibelots inutiles,
des fleurs de rhétoriques fanées,
des silences traduits de travers,
et un traître toujours, qui fait le mort.
Les poètes grecs savent de quoi ils parlent.
Ils viennent de si loin
qu’ils ne rencontrent que des contemporains
sous les murs de Mycènes comme au fin fond du labyrinthe,
et qu’il leur faut choisir entre Achille ou Ulysse
en pariant chaque matin, poème après poème,
puisqu’il n’est pas possible de s’en sortir indemne.
(Remerciements à l’auteur)
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