Quand on parle d’immigration, on ne peut s’empêcher de parler de culture de l’accueil. Il est intéressant de noter que, dans la langue arabe, la culture de l’hospitalité implique non seulement ceux qui l’offrent, mais aussi ceux qui la reçoivent.
Par Anna Mahjar-Barducci *
Dans les langues occidentales, on traduit «ahlan wa sahlan» avec le terme «bienvenu», mais cette traduction simplifie à l’excès le sens de cette salutation. «Ahlan wa Sahlan» signifie littéralement «tu es en famille et la voie pour toi vers chez nous est ouverte, lisse, facile». Le mot «ahlan» vient du mot «ahl», qui signifie aussi famille ou personnes faisant partie d’une même communauté. L’une des plus hautes formes d’hospitalité consiste à dire à l’invité qu’il ne sera pas traité comme un étranger, mais comme un membre de sa propre famille. «Sahlan» dérive en revanche du mot «sahl», qui signifie «facile» ou «simple», en indiquant que la route pour l’invité est ouverte et simple à parcourir.
S’ouvrir aux appartenances de l’Autre
La réponse à la salutation de bienvenue est «Ahlan Bik/i/um». «Bik» peut être traduit par «en toi», donc l’invité, qui est accueilli avec la phrase «ahlan wa sahlan», répond : «en toi, je vois ma famille». C’est-à-dire que puisque la personne, qui m’héberge, est devenue ma famille, moi, l’hôte (personne invitée), je m’engage à la respecter. C’est ça le sens de l’hospitalité : s’ouvrir aux appartenances de l’Autre, en établissant un lien familial et de respect entre celui qui offre et celui qui reçoit l’accueil.
En conséquence, les politiques d’accueil devraient impliquer les deux parties. Ce n’est pas un hasard si le mot «hôte» en français désigne à la fois l’hébergeur et la personne invitée, car ils sont les deux faces de la même médaille (c’est-à-dire l’hospitalité).
En matière d’immigration, on parle souvent de ce que devraient faire ceux qui offrent l’hospitalité, mais peu des devoirs que devraient avoir ceux qui la reçoivent. S’établir dans un nouveau pays signifie se redéfinir, qui comporte s’ouvrir à l’Autre et aussi devenir l’Autre.
Pour cette raison, l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf suggère aux immigrés de s’imprégnerez de la culture du pays d’accueil. «Je ne pense pas qu’un pays d’accueil soit une feuille blanche où chacun pose ses bagages. On arrive dans un pays, on a des droits et des devoirs. Le devoir de s’intégrer, le droit de s’intégrer», a dit Maalouf. Après tout, s’intégrer signifie ajouter des appartenances à notre identité, qui – comme Maalouf suggère – «se construit et se transforme tout au long de l’existence». Car l’identité est faite de multiples appartenances, il n’y a pas de contradiction si on dit qu’on aime le pays qui nous accueille sans jamais oublier celui d’où l’on vient. Donc, l’intégration ne représente pas une perte d’identité, mais, au contraire, ça implique «ajouter une nouvelle partie à un tout pour former un tout plus complet».
L’invité est sacré mais l’hébergeur est aussi béni
Une autre façon intéressante de dire «bienvenue» en arabe est «marhaba» et la réponse à cette salutation est «marhabtayn». En arabe, la racine du mot «marhaba» est «rahiba», ce qui signifie : «il a accueilli l’invité dans un lieu spacieux» (Il y a des théories selon lesquelles le mot «marhaba» viendrait du syriaque, mais ça… c’est une autre histoire). Cependant, la personne qui reçoit l’hospitalité répond «marhabtayn» (la forme duelle en arabe), qui signifie : «Je t’offre un double marhaba», ou mieux dit, l’invité fera preuve du double de la générosité qui lui a été accordée. Un dicton célèbre dit que l’invité est sacré, mais la langue arabe nous rappelle de bénir aussi l’hébergeur qui offre l’hospitalité.
* Chercheuse maroco-italienne.
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