Kaïs Saïed sortirait-il l’administration publique de sa léthargie ?

Comment faire bouger une administration publique qui roupille grave et se confine dans un attentisme sidérant ? Les lois sont nécessaires mais insuffisantes. Seul l’établissement d’un climat de confiance pourrait libérer les volontés et promouvoir l’esprit d’initiative.   

Imed Bahri

Dans sa version actuelle, l’article 96 du Code pénal stipule que tout fonctionnaire, qui use de sa qualité et de ce fait se procure à lui-même ou procure à un tiers un avantage injustifié, risque une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison.

Le problème, c’est que beaucoup de fonctionnaires rechignent à apposer leur signature à certaines décisions de crainte de tomber sous la coupe de cette loi épée de Damoclès. Résultat : la machine administrative se grippe et l’exécution des projets traîne en longueur.

L’amendement de cet article, qui a vu de nombreux hauts fonctionnaires, notamment des ministres et des PDG, déférés devant la justice après la révolution de 2011, est certes une revendication. Mais dans quel sens ? Pour rassurer les fonctionnaires qui n’ont rien à se reprocher ou pour sanctionner ceux d’entre eux qui montreraient quelque réticence à prendre des responsabilités dont ils auraient après à répondre devant un juge. Là est toute la question.

Entraver la marche d’un service public

En présidant, lundi 20 mai 2024, au Palais de Carthage, une séance de travail consacrée à l’examen du projet d’amendement de cet article, le président de la république, Kaïs Saïed a déclaré, selon le communiqué de la présidence de la république, que la redevabilité est une «revendication populaire» et que les lois «doivent être appliquées dans un esprit de redevabilité et non de règlement de comptes.»

Le chef de l’État a, par ailleurs, donné ses instructions en vue d’insérer une nouvelle disposition prévoyant juger «quiconque omet sciemment d’exécuter un acte ou une tâche en relation avec son travail, dans le dessein d’entraver la marche d’un service public».

Cette disposition législative vise, entre autres, à barrer la route aux fonctionnaires qui prennent pour prétexte l’article 96 pour ne pas accomplir les tâches qui leur sont assignées, précise encore le communiqué.

Le président Saïed a souligné que l’amendement de l’article 96 du code pénal s’inscrit dans le droit-fil des réformes législatives visant à instaurer une «conciliation» entre les objectifs ultimes de la politique pénale de l’Etat et l’impératif de continuité et d’efficience de l’action administrative.

Le 13 décembre dernier, le chef de l’Etat a évoqué cet article lors d’une réunion avec le chef du gouvernement, et a vilipendé «une administration affaissée et malade» de ses «normes et pratiques», estimant que la situation au sein des services de l’Etat est «étrange et anormale», faisant allusion à l’état de léthargie voire d’immobilisme qui y règne.  

Il a, également, tancé les agents et fonctionnaires qui invoquent l’article 96 du code pénal pour justifier les manœuvres dilatoires et les lenteurs mises dans le traitement des dossiers des citoyens, assurant que cet article doit être révisé dans les plus brefs délais.

Le mille-feuille réglementaire

L’amendement en cours sera-t-il utile et efficace et aidera-t-il à libérer les énergies et les volontés au sein d’une administration qui roupille grave, se confinant dans un attentisme sidérant ?

On attendra d’en juger sur pièce, car il ne s’agit pas seulement de multiplier les sanctions à l’encontre des fonctionnaires défaillants, et qui traînent les pieds sciemment, mais plutôt de rassurer ceux d’entre eux qui craignent sincèrement des poursuites judiciaires pour des décisions entrant dans leurs prérogatives.

Il ne s’agit pas non plus de multiplier les lois qui créent plus de problèmes qu’elles n’en règlent – le fameux mille-feuille réglementaire –, mais d’instaurer un climat de confiance au sein du service public pour libérer les volontés et promouvoir l’esprit d’initiative.  Et là, c’est une question de communication politique, donc de discours. Celui, imprécatoire et menaçant, tenu aujourd’hui par le pouvoir exécutif ne risque pas de donner des résultats positifs. Au contraire…

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