Avec Mourad Zeghidi, nous ASSUMONS le combat pour la liberté

Lettre à Mourad Zeghidi : Ton «J’ASSUME!» est devenu le cri de ralliement de celles et ceux qui refusent de renoncer aux libertés arrachées de haute lutte.  

Mohamed Chérif Ferjani

Cher Mourad,

La dernière fois où je t’ai vu, avec ta fille et ta sœur Meriem, c’était le 19 avril 2024, à l’hommage rendu par Amnesty International, ce bastion de défense de la liberté arraché au régime de Bourguiba et de Ben Ali dans les années 1980, à notre chère Gilda Khiari, amie de tes grands-parents, Gladys et Georges Adda, à tes parents Leila et Salah.

Tes mots en hommage à Gilda résonnent encore dans ma tête et je ne m’attendais pas à nous trouver dans cette situation absurde : toi derrière les barreaux pour avoir exercé ton métier de journaliste comme tu l’as toujours fait, de façon libre, responsable et loin de tous excès; et moi abattu et révolté par ce qui t’est arrivé, et par les poursuites et les jugements qu’on pensait appartenir à un temps révolu.

Face à cet absurde, ton «J’ASSUME», devant le tribunal qui te reprochait ta solidarité avec tes consœurs et tes confrères, m’a secoué comme pour me dire : «Lève-toi et marche !» J’ai réagi par un post disant : «Comme toi et avec toi, Mourad Zeghidi, nous assumons notre solidarité avec celles et ceux qui payent le prix de la liberté d’expression !»

Je pensais à t’écrire cette lettre, quand j’ai vu les vidéos de la manifestation partie hier, le 24 mai 2024, du local du Syndicat des journalistes à l’Avenue Bourguiba, avec ton neveu Skander brandissant sa pancarte sur laquelle est écrit en grandes lettres «J’ASSUME !». Puis j’ai lu le post de ta sœur Meriem, avec la photo de son fiston pour dire que la relève est assurée et que tes filles aussi étaient dans la manifestation dominée par la présence des jeunes reprenant les mots d’ordre de la révolution, demandant l’abrogation des lois liberticides comme le décret 54, et défiant le pouvoir qui s’acharne contre les journalistes, les avocats, les organisations de défense des droits humains, dont les droits des migrants, etc.

Puis j’ai lu la remarquable chronique d’Ikhlas Latif, dans Business News, intitulée : «J’ASSUME …» qui a tout dit ! J’allais renoncer à t’écrire cette lettre après avoir vu et lu ce que ton «J’ASSUME !» a inspiré aux jeunes, à Meriem, à vos enfants, à ta consœur Ikhlas Latif dont je lis régulièrement les chroniques avec délectation… Puis, je me suis rappelé l’effet des lettres qui me parvenaient en prison et l’effet de l’écho des actions de celles et ceux qui, comme ta mère et ton père, ASSUMAIENT leur solidarité avec nous, et je me suis dit que notre relation, avec toi, avec Meriem, avec tes parents et grands-parents, m’interdit d’y renoncer.

J’ai connu ta mère en 1969-1970 dès mon arrivée à l’université; elle était une figure de la défense des prisonniers politiques dont ton père que je n’ai connu que plus tard. J’en entendais parler comme «un militant communiste à part», le communiste le plus proche des perspectivistes. Quand je l’ai connu directement en 1975, dans le même procès que nous… parce qu’il ASSUMAIT sa solidarité avec nous en tant qu’animateur en Tunisie du Comité de défenses des prisonniers politiques. Il n’était pas membre de notre organisation mais il était plus perspectiviste que nous. Il a toujours assumé cette posture d’indépendant plus engagé dans la défense des idéaux de la gauche que les partis de gauche.

Dans les années 1980, après ma sortie de prison, nos liens se sont consolidés. Nous formions presque une même famille avec tes parents puis avec ton oncle Serge et tes grands-parents que je ne connaissais que de nom et que nous retrouvions souvent chez les Khiari. C’est là que je vous ai connu(e)s, Meriem et toi, dans votre appartement de l’avenue de Paris puis à Khaznadar où nous tenions les réunions de notre groupe d’AI. Avec ton père, nous avons participé à la création du RSP avant qu’il ne soit sabordé et détourné des objectifs à l’origine de notre initiative.

Par la suite, notre départ en France n’a pas affecté notre relation. Nous nous retrouvons à chacun de nos retours et nous avons participé ensemble à plusieurs initiatives : l’appel des 150 pour une alternative laïque au régime de Ben Ali et aux alliances avec les islamistes, l’initiative de soutien à la candidature de Mohamed Ali Halouani contre Ben Ali, la création de l’association laïque, etc.

Le souvenir que je garde de toi, depuis que tu étais petit, au début des années 1980, c’est que tu prenais part aux discussions que nous avions avec tes parents et tes grands-parents, et j’admirais la maturité de ta réflexion et ton sens de la mesure. Tu ne partageais pas les points de vue que tu trouvais excessifs de ton père et de ton grand-père Georges et tu n’hésitais pas à le faire savoir. J’ai retrouvé ce sens de la mesure, qui s’est affirmé chez toi avec l’âge, dans tes interventions et dans les émissions que tu animes. C’est pourquoi, j’ai trouvé absurde qu’on puisse t’arrêter et te condamner à un an de prison alors que, comme tu l’as dit, tu n’as rien fait d’illégal et que tu assumais ce que tu avais fait et dit en tant que journaliste dont tout le monde respecte le professionnalisme et la mesure.

C’est sans doute la raison pour laquelle ton «J’ASSUME !» est devenu et restera le cri de ralliement de celles et ceux qui refusent que nos libertés soient confisquées. Avec toi, nous ASSUMONS le combat pour la liberté.

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