Tunisie : les dessous d’un remaniement ministériel partiel

Kais Saïed a opéré, hier tard dans la soirée, un remaniement ministériel partiel qui a touché deux portefeuilles. Comment expliquer ce changement au sein de l’actuel gouvernement à quelques mois de l’élection présidentielle ?

Latif Belhedi

Le président de la république n’est peut-être pas tenu d’expliquer les raisons l’ayant amené à prendre telle ou telle décision. Il a d’ailleurs rarement cherché à expliquer les changements de Premier ministre (quatre depuis son accession à la magistrature suprême en 2019 : Elyes Fakhfakh, Hichem Mechichi, Najla Bouden et Ahmed Hachani) et les limogeages, très nombreux, qu’il a effectués au sein des gouvernements successifs. Mais notre rôle de journalistes n’est-il pas d’essayer de lire, d’interpréter et d’analyser ces décisions à l’aune des déclarations du président, de ses politiques et de son agenda, qu’il soit déclaré ou non ?

En ce qui concerne le remaniement partiel annoncé hier, samedi 25 mai 2024, il a concerné deux postes ministériels : Khaled Nouri a remplacé Kamel Feki à la tête du ministère de l’Intérieur et Kamel Madouri a succédé à Malek Zahi à la tête de celui des Affaires sociales.

Remettre de l’ordre

Autre décision du président, et pas des moindres, la nomination de Sofien Ben Sadok au poste de secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la Sûreté nationale. Ce poste, abandonné depuis plusieurs années, a donc été rétabli et cela doit avoir une signification au regard du rôle et des missions que le président assigne à l’institution sécuritaire.

La nomination d’un homme de droit, un magistrat en l’occurrence, à un poste aussi important dans la hiérarchie sécuritaire, qui plus est, quelque temps après la polémique suscitée par la descente effectuée par la police à la Maison de l’avocat à Tunis, pour arrêter deux avocats sur ordre de la justice, acte qui suscita un fort mouvement d’indignation parmi le corps des avocats, et pas seulement… cette nomination semble destinée à aider à calmer les tensions entre trois corps importants qui sont «intimement» liés: la police, l’avocature et la magistrature.

Pour revenir au changement à la tête des ministères de l’Intérieur et des Affaires sociales, peut-on sérieusement parler de «limogeage» comme l’ont fait, un peu rapidement du reste, beaucoup de commentateurs hier soir sur les réseaux sociaux.

S’agissant de deux hommes connus pour leur très grande proximité du chef de l’Etat, Kamel Feki et Malek Zahi, le terme «limogeage» nous semble inapproprié, car on voit mal le président se passer des services de deux valeureux partisans qui ont soutenu très tôt ses ambitions politiques, cru en ses chances d’accéder à la présidence de la république et participé très activement à la campagne électorale (ou «explicative» comme le président lui-même aime l’appeler) qui lui ouvrit la voie vers le palais de Carthage.

On sait aussi que les deux hommes ont la confiance du président qui les écoute, se fie à leurs analyses et s’appuie sur leurs relais dans les différents milieux sociaux.

Un vrai faux départ ?

Par ailleurs, lorsqu’il limoge un ministre, le président de la république n’a pas l’habitude de le recevoir le jour même de l’annonce de son limogeage. Or, hier soir, il a tenu à recevoir Kamel Feki et Malek Zahi, aux côtés du Premier ministre Ahmed Hachani, juste après l’annonce officielle des noms de leurs successeurs et la prestation de serment de ces derniers, comme indiqué dans le communiqué officiel de la présidence de la république. Ce qui peut être interprété comme une marque de respect ou une volonté de couper court aux racontars que leur départ, pour le moins inattendu, susciterait forcément. Mais ce «départ», qui ne serait pas un «limogeage», comment l’expliquer?

En l’absence d’explication officielle – ou officieuse, à travers des indiscrétions de presse –, on en est réduit à supputer et à deviner des raisons plausibles.

Pour notre part, nous sommes tentés par l’explication selon laquelle le président de la république, qui s’apprête à se lancer dans la course à sa propre succession, a besoin d’hommes et de femmes à ses côtés pour l’aider à mener sa campagne électorale, et ces hommes et ces femmes devraient être libérés de tout engagement officiel, la loi électorale interdisant aux candidats quels qu’ils soient, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit du président de la république en exercice, de mener campagne avec les moyens – et les hommes et femmes – de l’Etat.

Si cette analyse est juste, Kamel Feki et Malek Zahi ne quitteraient donc le gouvernement que pour une courte période, le temps de contribuer à la réélection du président sortant, avant de reprendre leur place, aussitôt ce dernier réélu, dans le gouvernement avec lequel il entamerait forcément son second mandat. Ce ne sont là, du reste, que des supputations, fruits d’analyses politiques, qui demandent à être vérifiées, donc confirmées ou infirmées, dans les jours et les semaines à venir.    

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