Est-ce que nous, citoyens de tous bords, méritons cet urbanisme chaotique qui nous est infligé? N’est-il pas temps d’agir pour sauver ce qui peut encore être sauvé? Embellir nos villes, améliorer notre cadre de vie, mettre un peu de couleur et de poésie dans notre environnement…
Ilyes Bellagha *
L’évolution démographique et économique de la Tunisie conduit à une densification croissante de ses villes. En 2024, environ 70% de la population est urbanisée. Cette situation pourrait entraîner un abandon des zones rurales. Quelle que soit la perspective adoptée, ce sera insoutenable pour un pays qui se considère encore jeune, malgré ses 3000 ans d’histoire. Cela est principalement dû au fait que les élites dirigeantes ne considèrent le présent et l’avenir qu’à travers le prisme de la pérennisation de leur pouvoir.
Les zones urbaines étouffent, tout comme nous suffoquons aux heures de pointe dans nos moyens de transport. Nos villes manquent d’air, leurs habitants serrés les uns contre les autres, enserrées par des banlieues aux murs de brique rouge, souvent non enduits. La vie y est dure, et d’autant plus intenable qu’elle aurait pu être agréable, eu égard la richesse du cadre naturel et du patrimoine culturel.
A ce propos, des questions se posent : Que font les écoles d’architecture avec leurs enseignants censés former mais qui déforment? Et que font les architectes, avec leur ordre qui se déchire? Et le ministère de l’Équipement qui veut donner l’impression de maîtriser la situation alors que beaucoup de choses lui échappent? Et les municipalités, que font-elles pour améliorer le cadre de vie des citoyens? Pas grand-chose, encore heureux qu’elles parviennent à lever les ordures…
Le désordre des architectes
L’Ordre des architectes, organisme cinquantenaire et qui s’apprête à tenir sa 25e élection, est censé jouer un rôle central dans l’embellissement de l’espace urbain. Mais il se laisse berner par un gouvernement qui lui accorde peu d’attention et le néglige carrément. Il faut dire qu’il n’a pas beaucoup changé depuis 1974, année de sa création.
Le nombre croissant des architectes, leur répartition sur le territoire et surtout leur moyenne d’âge qui baisse sans cesse sont des éléments qui plaident en faveur d’une plus grande décentralisation. Tout ne doit plus se décider à Tunis et de manière unilatérale. Les communes doivent avoir leur poids dans le système décisionnel avec un seul objectif : améliorer le cadre de vie des citoyens et assurer le plein emploi pour les jeunes, dont beaucoup cherchent par tous les moyens à s’expatrier.
Nous avons, aujourd’hui, un bon angle de tir, nos aspirations étant également portées par le sommet de l’Etat, comme par la société civile, et c’est là une belle opportunité pour nous organiser autrement.
Une place à reconquérir
Le pessimisme des architectes doit céder la place à l’action. Ils doivent se mobiliser collectivement pour la qualité de vie de leurs concitoyens. Et retrouver leur place au cœur de la société, qu’ils ont délibérément abandonnée. Pendant des décennies, ils n’ont regardé que leurs intérêts personnels à travers le prisme des lois régissant une profession qui s’est éloignée de sa mission première. Avec un ordre qui laisse le désordre le submerger, emportant tout sur son passage.
Est-ce que nous, citoyens de tous bords, méritons cet urbanisme chaotique qui nous est infligé? N’est-il pas temps d’agir pour sauver ce qui peut encore être sauvé? Embellir nos villes, améliorer notre cadre de vie, mettre un peu de couleur et de poésie dans notre environnement…
* Architecte.