‘‘The accidental président’’: terminer ce que d’autres ont commencé; le curieux destin d’un Américain pas si ordinaire

En avril 1945, le président Franklin D. Roosevelt, cloué par la poliomyélite sur une chaise roulante depuis deux décennies, usé par trois mandats et par la charge écrasante de la conduite de la seconde guerre mondiale, décédait brusquement d’un accident vasculaire cérébral au début de son quatrième mandat. Le vice-président Harry Truman lui succédait conformément à la Constitution américaine.

Dr Mounir Hanablia *

Ce propriétaire ruiné d’une mercerie, ce petit fermier endetté, ce juge intègre d’un obscur comté du Missouri soutenu par un notable local notoirement corrompu, Tom Pendergast, pilier du parti Démocrate, qui assurerait son succès aux élections sénatoriales, rien ne laissait donc prévoir qu’un jour, il présiderait aux destinées du pays le plus puissant du globe à une époque charnière de l’Histoire de l’humanité. Son choix au poste de vice-président fut on ne peut plus le fruit du hasard. Après s’être joué de trois candidats en leur faisant croire qu’il les soutiendrait,

Roosevelt finit par se ranger à l’avis d’un membre du Congrès pour qui Truman était le candidat idéal parce que, en plus de l’efficacité qu’il avait démontrée en tant que membre de la commission chargée du contrôle des dépenses de la défense nationale, et de son intégrité, il était dépourvu d’ennemis, et dénué d’ambitions politiques. Ses sept années passées au Sénat, au cours desquelles il fut réélu sans le soutien de son protecteur, Pendergast, condamné à la prison, lui avaient permis autour des tables de poker, dans les cocktails, et étalant sa virtuosité au piano, d’acquérir les fidélités et les soutiens nécessaires à solide une carrière politique. Il n’empêche ! En tant que vice-président, la presse ne l’avait pas épargné en l’accusant contre toute évidence d’avoir fait partie du Ku Klux Klan, avant de se rétracter.

Gagner la guerre et jeter les bases d’une paix durable

Truman, au moment de succéder à son prestigieux prédécesseur, avait donc pour mission de gagner la guerre en Europe et en Asie, et de jeter les bases d’une paix durable dans le monde en collaboration avec ses alliés, en particulier l’Union Soviétique, dont la politique de conquête et d’établissement de démocraties populaires à l’Est de l’Europe et en Pologne ne facilitait pas les choses. D’intenses discussions seraient nécessaires afin d’instaurer les bases de l’instance internationale chargée de résoudre les conflits entre États, que l’on nommerait Organisation des Nations Unies.

Néanmoins, après la chute de Berlin, la conférence de Potsdam rendue nécessaire par la menace de guerre qui pesait sur l’Italie avec l’occupation du Frioul par l’armée Yougoslave et l’affaire polonaise, n’obtiendrait pas des Soviétiques les concessions escomptées, malgré l’expérimentation de la bombe atomique. Son utilisation contre le Japon à deux reprises, les 6 et 9 août 1945, allait précipiter la fin de la guerre du Pacifique, après une série de bombardements massifs qui réduirait en cendres les principales villes du Japon.

Avec l’établissement des régimes communistes en Europe de l’Est, l’octroi de la Silésie à la Pologne au détriment de l’Allemagne, et les conflits virtuels en Chine et en Corée, le monde allait passer sans transition à la guerre froide et à la politique des deux blocs dont le paroxysme sera atteint par la l’avènement du communisme en Chine, la guerre de Corée, celle du Vietnam, et le blocus de Berlin.

Naturellement Harry Truman ne passera à la postérité que comme le président ayant fait usage de la bombe atomique. Certes. Cependant aucun Américain ne semble alors avoir douté qu’elle pût mettre fin au conflit contre le Japon plus rapidement et à moindre coût en vies humaines américaines contre un adversaire résolument décidé à se battre jusqu’au dernier pour préserver son honneur et sa souveraineté à travers le maintien à sa tête de l’Empereur.

Ce sont les mêmes arguments que l’on entend aujourd’hui par les sionistes et les dirigeants israéliens pour justifier leur politique d’extermination à Gaza, autrement dit l’élimination d’un adversaire fanatisé soutenu par une population complice. Si la rhétorique est la même, celle puisée dans le discours de la seconde guerre mondiale, le contexte, celui d’une lutte anticoloniale, n’est néanmoins radicalement pas le même.

D’autre part, il sera toujours difficile d’argumenter sur le manque de volonté des Américains, les seuls à détenir la puissance nucléaire à l’époque, d’imposer aux Soviétiques le respect des souverainetés nationales des peuples est-européens. Or, ils avaient les moyens nécessaires d’user à des fins politiques le prêt bail et les crédits nécessaires à la reconstruction et qu’ils étaient seuls à détenir.

La nécessité d’établir des règles d’arbitrage

Néanmoins, les récents évènements en Ukraine ont démontré que les moyens de pression économiques ne jouaient que peu quand les intérêts considérés comme fondamentaux étaient en jeu, et que, avant de parler de politique expansionniste, le besoin de sécurité d’un pays ayant la taille d’un continent comme la Russie, né de siècles d’Histoire, primait dans sa volonté d’établir un glacis défensif autour de ses frontières, facteur que l’actuelle administration Biden, soutenue par ses alliés européens, semble peu désireuse de prendre en compte, avec les conséquences que l’on sait, y compris le risque d’un affrontement nucléaire, accru par la livraison d’armes américaines offensives, ou celui d’accidents majeurs dans les neuf centrales nucléaires en activité en Ukraine potentiellement comparables à ceux de Tchernobyl .

On en revient ainsi et plus que jamais à la nécessité d’établir des règles d’arbitrage et de résolution pacifique des conflits  entre les nations, à l’ère du nucléaire, un souci que Roosevelt avant l’usage de la bombe atomique, et Truman, après, s’étaient efforcé de concrétiser à travers les Nations Unies, une organisation qui est aujourd’hui de plus en plus critiquée, en particulier par les sionistes qui appellent à son démantèlement, parce qu’à Gaza, elle a agi selon les vœux de ses fondateurs conformément au droit international.

Le dramatique dans le monde actuel, c’est l’amnésie de ses dirigeants sur les faits de l’Histoire. 

* Médecin de libre pratique.

‘‘The Accidental President: Harry S. Truman and the Four Months That Changed the World’’, de  A. J. Baime, éd. Mariner Books, 2 octobre 2018, 64 pages , 464 pages.