Jordan Bardella : soigner le mal à la racine

Un épisode politique majeur vient de se dérouler dimanche 9 juin 2024 en Europe. Un événement qui a attiré l’attention vers la France avec pour cinglante information le résultat obtenu par le Rassemblement National (RN). Ceci grâce à l’intronisation progressive, précautionneuse du jeune Jordan Bardella, perçu comme une nouvelle personnalité prometteuse.

Jean-Guillaume Lozato *

Un score de 32% qui n’étonne plus personne au vu des sondages. Voilà pourquoi la France n’a pas fermé l’œil après la soirée du verdict des urnes. Ou s’est réveillée KO le lendemain. Selon les tendances. Selon les humeurs. De la France qui se lève tôt, pour emprunter l’expression chère à Nicolas Sarkozy, à celle qui se couche tard.

En cause? Une surprise qui n’en est plus réellement une. Les résultats positifs du RN. De quoi alimenter les discussions dans les débats au point de monopoliser l’espace médiatique pourtant déjà saturé. De quoi animer les conversations quotidiennes dans les moindres recoins de la banalité. Ou de la trivialité.

De la vulgarité à la vulgarisation, ce serait la grande étape atteinte par le parti réputé comme représentatif de l’extrême droite à la Française, crée par Jean-Marie Le Pen. Un groupe au départ quasi confidentiel regroupant ses proches et des anciens combattants, qui s’est ouvert davantage sur l’extérieur au fur et à mesure des montées dans les résultats électoraux. Jusqu’à innover avec Jordan Bardella en étant passé par la transition Marine Le Pen.

Au l’origine, un orateur de talent

L’Hexagone détient en la personne de Jean-Marie Le Pen une figure haute en couleur de la droite dure, charismatique selon les périodes. L’ancien militaire parachutiste ayant «guerroyé» en Indochine puis en Algérie a commencé à se faire remarquer sur la scène politique dès les années soixante-dix, pour atteindre un pic aux élections européennes de 1984. Avec pour principal axe de communication la thématique de la lutte contre l’immigration qui serait génératrice de tous les maux. N’oublions pas que la Guerre d’Algérie a laissé une cicatrice béante tant en Afrique du Nord qu’en France. Un conflit sinistre avec des exactions perpétrées des deux côtés.

Dans ce contexte malmené par une ambiance de guérilla urbaine, de revendications de l’OAS et par un carambolage entre le Poujadisme, la récupération de l’extrême gauche, l’ambivalence mitterrandienne et la Grandeur du Général de Gaulle, le leader historique du Front National se construira un argumentaire fort mais sectaire par moments. Avec néanmoins des remarques fondées, servies par les incohérences successives de qui gouvernera la France tour à tour. Une vision illustrée par cette remarque du socialiste Laurent Fabius : «Vraies questions, mauvaises réponses».

Devenu plus jeune député de France à seulement 28 ans, J.-M. Le Pen représentera le FN aux élections présidentielles de 1974, avec un score plus que modeste (0,75% des voix). Plusieurs années après, il accédera à leur second tour, en 2002. Ce qui prouve qu’un ancrage existe, au moins culturellement. Au gré des opinions qu’il émettra en haranguant la foule, il prouvera ses talents d’orateur, contrairement à d’autres représentants de la mouvance extrémiste comme Bruno Maigret, passant aisément de la truculence à des assertions dignes d’un homme cultivé, ou encore en ayant recours à l’humour inattendu ou à la moquerie enfantine (l’affaire «Durafour-Crématoire», avec un calembour volontairement ridicule, ce qui dénote une intelligence de la provocation stratégique). Cette effronterie se manifestera par la violence verbale lors de son débat avec Bernard Tapie. Un duel entre deux très fortes personnalités qu’au final seule la sensibilité politique oppose puisque tous deux sont caractérisés par un fort caractère, appartiennent à l’origine à la classe populaire laborieuse et vont jusqu’à mesurer la même taille (1,77 mètre)! Le Pen est un meneur. Un vrai chef de clan.

Une affaire de famille : l’arrivée d’un certain Bardella.

Antérieurement à son entrée dans la cour des grands politiciens et des présidentiables, l’homme politique breton avait réussi à faire passer lui et sa petite famille à un échelon social plus confortable. Avec l’installation dans une grande et belle demeure située dans une zone résidentielle de l’Ouest Parisien. Un changement de standing qui est intervenu à temps. Car l’ancien domicile familial avait été détruit par un l’explosion d’une bombe (attentat dit de la Villa Poirier à l’automne 1976). Un acte ignoble qui prouve que la personnalité politique visé dérangeait trop. Une formalité pour Jean-Marie l’aventurier ?

Le traumatisme est évident pour son épouse de l’époque et les trois filles du couple, plus particulièrement Marine qui restera la sœur la plus médiatisée et la plus proche de son paternel.

Cette continuité politico-familiale dans l’extrême droite se poursuivra avec l’émergence de Marion Maréchal Le Pen, fille de Yann Le Pen, et l’arrivée de Jordan Bardella par le biais de son union avec Nolwenn Olivier, fille de Marie-Caroline.

La famille, le nouveau venu a bien étudié cette notion et a su s’adapter. En intégrant la famille au sens propre. Puis en se voyant adoubé par la famille politique.

Avec détermination et dévotion, le candidat néophyte aux prochaines échéances européennes ne ménage pas ses efforts. Il sait obéir aux instructions tout en paraissant ajouter une touche d’initiative personnelle, conseillé de près à travers le parrainage de Marine Le Pen. Un encadrement qui semble porter de plus en plus ses fruits.

Jordan Bardella et sa marche à suivre 

A l’heure actuelle, le RN se voit avantagé en attendant les législatives anticipées, conséquence de la dissolution de l’Assemblée Nationale par le Président Macron. Il a acquis des atouts dont les pouvoirs d’imposer des vues, d’être écouté ou tout du moins proposer des négociations voire être supplié d’en recevoir.

Le candidat du parti au flambeau bleu blanc rouge cumule les avantages :

– il n’a pas encore à son actif de scandales, d’affaires ou de grossières erreurs ayant terni son image;

– il présente bien, il est jeune, renvoie une image dynamique et volontaire, avec son allure de jeune homme bien élevé;

– il connaît le terrain puisqu’il a grandi en Seine-Seine-Denis, et sait donc s’adresser à un électorat placé sur un spectre large;

– il est grand, comme certains présidents français qui ont marqué les esprits : Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac;

– il maîtrise les outils de communication;

– il a pour lui le bénéfice du doute;

– il se trouve sur une phase ascendante.

Néanmoins, quelques failles reviennent à être détectées, comme dans le domaine des propositions économiques. Sera-t-il sur ce point assez compétent pour pouvoir rassurer les investisseurs ? Les choses se déroulant très vite en ce moment, le trop jeune Bardella pourrait «risquer» de se voir nommé Premier Ministre, à la place du déjà jeune (35 ans) Gabriel Attal. Dans ce cas, saura-il gérer les mécontentements, les attentes, les impatiences et surtout les critiques incessantes de ses adversaires politiques, LFI en tête ?

Le natif de Saint-Denis n’a jamais caché ses origines populaires, ni ses racines familiales italiennes, sans pour autant y revenir fréquemment afin d’en faire un fond de commerce. Un juste équilibre qui masque mal une brèche dans laquelle plusieurs détracteurs potentiels pourront s’engouffrer. Du côté maternel, ses origines se situent du côté du Piémont, dans les localités de Novara ou Nichelino. Sur le versant paternel, la pente s’avèrerait davantage pluridirectionnelle. En effet, comme son patronyme l’indique, cela prendrait encore la direction de l’Italie du Nord, mais plutôt en Lombardie ou vers Bologne. La surprise proviendrait de son arrière grand-père, selon les rumeurs persistantes dans la communauté maghrébine de France, qui aurait été de père italien et de mère kabyle, une hypothèse plausible puisque dans les quatre premières décennies du 19e siècle environ quinze familles d’artisans d’Italie septentrionale aurait résidé dans la zone de Béjaïa.

Alors, avantage ou handicap devant les électeurs pour les prochaines échéances ? Comme il a pu être entendu sur Arte Reportage la semaine dernière, cette caractéristique commence déjà à être récupérée, notamment dans la séquence où un homme sur un marché crie : «C’est un Italien qui se prend pour un Français».

La France, ancienne nation colonisatrice mais aussi patrie des Droits de l’Homme, ne semble jusqu’ici pas plus raciste que la moyenne à l’échelle européenne. Le même mouvement de fond que sur l’ensemble de l’échiquier européen est perceptible.

Le problème actuel de l’Hexagone est la problématique de quelle politique sécuritaire conduire, avec les Jeux Olympiques qui approchent. A ajouter à la gestion des flux migratoires et de la répétition d’attentats de matrice islamo-radicale. Pour l’efficacité, le RN devra passer d’une image clivante à une attitude plus fédératrice. La nomination de Bardella demeure une possibilité après la dissolution de l’assemblée. Chance ou cadeau empoisonné ? Pendant ce temps, Marine Le Pen attend le moment idoine pour surgir en vue des présidentielles…

Ce paysage national doit être analysé par un œil expert, puis remis en ordre. Sinon, le vote contestataire se verra succédé par le vote idéologique au profit du RN bénéficiant du concours de circonstances provoqué par l’affaiblissement du parti LR conjointement à une tactique présidentielle qui ne cherche que l’évitement et la perte de temps. Une lutte approximative contre une délinquance de plus en plus précoce et les errements en matière d’économie et finances pourront conduire à une sensation d’incompétence généralisée auprès du peuple, de plus en plus lassé.

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