Tunisie : Où est passé le mastère en planification de l’éducation ?

Lancé en grande pompe en 2020 au sein d’un établissement de l’enseignement supérieur, le mastère en planification de l’éducation a disparu des radars peu de temps après. Inexplicablement. Entretemps, de l’argent a été dépensé inutilement par les pouvoirs publics et des agents de l’Etat en ont bénéficié indûment. Comment qualifier de telles pratiques?

Jamel Sakrani *     

Depuis la mort d’Alfred Binet, connu pour sa théorie de l’intelligence, de nombreuses études ont été élaborées sur l’aspect socio-économique de l’éducation. Ainsi, des rapports publiés par des gouvernements et des ONG ont souligné le rôle catalyseur de l’éducation dans la réalisation de tout objectif de développement durable.

Après l’engagement des Etats membres des Nations unies en 2015 dans l’agenda 2030, des fonds importants ont été investis dans la planification de l’éducation en tant que processus de réalisation de l’ODD4. Mais quelles ont été les actions de l’Etat tunisien dans ce cadre ?

En septembre 2020, le ministère de l’Education a lancé un mastère en planification de l’éducation au profil des intervenants dans l’élaboration des Plans régionaux en éducation (Pred). Un tel diplôme de haut niveau est censé de renforcer les compétences en matière de détermination des objectifs du système éducatif, d’identification des ressources nécessaires pour les atteindre et de définition des indicateurs pour les mesurer, les suivre et les évaluer.

D’une pierre deux coups : l’Etat tunisien était devant une opportunité de renforcer les compétences en matière de planification de l’éducation d’une part, et d’instaurer la décentralisation stipulée dans la section 7 de la constitution de l’époque, relative au pouvoir local.

Etant donné que la «pérennisation de la formation» était le principal motif derrière la création de ce mastère, en tout cas selon ses termes de références, celui-ci s’est arrêté après seulement deux promotions sans livrer aucun diplôme, et toute trace en a été supprimée, c’est comme s’il n’a jamais existé. La «pérennisation du financement», qui n’aurait pas pu être garantie, était-elle la principale cause derrière l’enterrement d’un projet aussi important ? Sinon, quelles sont les raisons derrière cet abandon ? 

Soupçons de détournement de fonds publics

Il est à noter que le ministre de l’Education de l’époque a signé le contrat relatif à ce mastère en gré à gré avec la faculté où ce dernier a enseigné et qui fait partie de l’université qu’il avait présidé juste avant sa nomination à la tête du ministère.

En outre, les termes de référence ont été élaborées par des enseignants de la dite faculté, qui ont bénéficié chacun d’un nombre d’heure d’enseignement à un coût de 290 D/H d’enseignement à distance, fixé par eux mêmes et selon leurs conditions.

En ce qui concerne l’évaluation de cette formation, deux responsables de la structure chargée de suivi et de validation afin d’autoriser le financement de ce projet ont bénéficié de la somme équivalente à 42 heures d’enseignement pour le DG et 84 heures pour l’une de ses collaboratrices. Le financement de cette formation a été arrêté pour violation des procédures contractuelles et soupçons de détournement de fonds publics.

Il est aussi à noter que le nom du prestataire a été mentionné dans l’introduction des termes de référence. Autrement dit, il y a eu conflit d’intérêt dans les termes de référence, qui ont été élaborés par le prestataire lui-même. A vrai dire, c’est une première dans l’histoire de ce type de procédure et des cahiers des charges en général. Lorsqu’on mentionne les noms des deux parties, on est déjà dans le contrat, sinon à quoi servirait la signature d’un contrat ?

Fac-similé.

Le plus important dans tout ça, c’est que les autorités concernées ont été informées de toute l’opération. Le ministère de l’Education, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, la Cour des Comptes et la présidence du gouvernement n’ont pas seulement toléré ces violations mais ils les ont camouflées, en ont protégé les auteurs, et même récompensé ces derniers par des promotions, des indemnités, des primes et surtout davantage de pouvoirs.

Résultat des courses : l’ODD4 représente incontestablement le vecteur le plus puissant du développement d’un pays et le catalyseur du reste des ODD. Parmi les 16 ODD restant, 7 sont liés directement aux cibles de l’ODD4, les 9 autres ont des liens indirects, la planification de l’éducation est désormais le seul moyen permettant de suivre la réalisation de cet objectif et l’atteinte de ses cibles.

Ces responsables ont peut-être réussi à planifier pour leurs propres intérêts et toucher un tel honoraire sans bouger de chez eux. Ils ont certes échoué à assurer une formation pérenne et de qualité dans un secteur considéré par le monde entier comme le plus important de nos jours.

Alors qu’il ne reste que moins de 6 ans pour l’agenda 2030, quelles seraient les actions de la ministre actuelle pour remédier au retard enregistré par notre pays dans ce domaine ?

* Cadre du ministère de l’Education, Tunisie.

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