Une fresque murale met en lumière les habitants «invisibles» de Tunis

Handicapés, jeunes déscolarisés, une centaine d’«invisibles» sont sortis de l’ombre grâce à une fresque murale intitulée «1001 briques», œuvre d’art collective inaugurée dans la médina de Tunis, l’un des joyaux architecturaux du monde arabe.

Plus de 550 personnes de tous horizons ont participé pendant un an à des dizaines d’ateliers pour créer un immense bas-relief de briques sculptées et peintes, installé sur une place de la vieille ville, site protégé par l’Unesco depuis 1979.

Anne Francey, artiste suisse de 68 ans, mariée à un Tunisien, a initié ce «projet d’art participatif» pour révéler les talents de «groupes extrêmement différents», notamment «les invisibles, tous ces gens un peu sur le qui-vive, marginalisés de la société ou handicapés» et qu’en Tunisie «nous avons tendance à ne pas vraiment le reconnaître ou à le cacher».

S’exprimer, dire j’existe, je suis

«Même avec un handicap grave, l’enfant laisse ses empreintes et sa signature dans son objet. Il ne doit pas se dire ‘je ne peux pas’ : il doit vivre l’instant présent, créer une âme dans l’objet», explique Mohamed Boulila, lors d’un atelier, 52 ans, formateur au centre Agim de Tunis qui accueille des enfants atteints de troubles moteurs. «Nous avons le pouvoir de faire les choses malgré tout et de démontrer à la société qu’il ne faut pas être considéré uniquement comme un handicapé», ajoute M. Boulila, lui-même atteint de cette pathologie, montrant comment transformer une brique en porte, en fenêtre ou en maison.

Educatrice à Agim depuis 33 ans, Samia Souid, 56 ans, estime que la participation de ces jeunes à une œuvre comme «1001 Briques» les aide «à s’exprimer, à dire j’existe, je suis». «Il y a des enfants qui ne peuvent pas parler mais expriment leurs sentiments, leurs idées», ajoute-t-elle.

Dans ce projet où chacun «imagine une ville métaphorique», les jeunes d’Agim ont conçu «la ville du défi», «de très belles briques qu’ils ont grattées, sculptées avec leurs propres moyens, pour un résultat très proche des expressions de l’art contemporain, comme celles de l’Américain Cy Twombly», estime Anne Francey.

Après «1001 mains», fresque en céramique réalisée en 2019 à Tunis, «1001 briques» s’inspire toujours des «Mille et une nuits», «de quelque chose qui continue vers l’infini et vers des histoires qui se croisent», explique l’artiste, soutenu par des mécènes suisses, qui ont choisi la brique en terre cuite pour sa disponibilité et sa large utilisation dans la construction en Tunisie. Le principe de ces «projets participatifs» consiste, selon Francey, à «échapper à la verticalité des savoir-faire artistiques, du grand maître qui dessine sur les murs pendant que les autres remplissent des formes préétablies».

Une société plus harmonieuse

Mélanger les créations de «personnes de toutes conditions sociales», des jeunes en réinsertion ainsi que des étudiants en architecture ou en art, est aussi «une manière de se rassembler autour d’un projet constructif qui fait rêver à une société harmonieuse malgré les difficultés du pays est en train de traverser», a-t-il déclaré.

Plus généralement, «1001 briques» vise à valoriser l’espace public alors que la place où est installée la fresque a connu de nombreuses vicissitudes au fil des siècles, devenant même temporairement un parking et une décharge, avant une lente renaissance à partir de 2021.

Raouf Haddad, né dans ce quartier populaire il y a 42 ans, vient chaque jour vérifier l’installation des travaux et donner un coup de main. «Il faudrait transformer ainsi toute la médina. Il y a des toits effondrés, des murs et des ruelles où les gens ne peuvent pas passer, sans éclairage public», décrit-il, prédisant à la place Sidi Mfarrej un sort similaire à celui de Batman Alley, un passage autrefois ignoré à Sao Paulo, au Brésil, qui, grâce à l’art de rue, est devenu une attraction touristique internationale.

Pour le moment, ce qui compte pour Firas Khlifi, 28 ans, responsable communautaire d’un jardin pour enfants sensibilisé au réchauffement climatique sur la place, c’est que «1001 briques attireront de nouveaux projets» dans un quartier qui est plein d’espaces publics abandonnés et inutilisés. La fresque «apportera plus d’animation car chaque année des festivals ont lieu dans la médina» qui pourraient utiliser la place pour des représentations artistiques ou des expositions, selon Khlifi.

Parmi les auteurs des briques, il y a également l’Italienne Anna Di Curzio.

D »après Ansamed.

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