France : La gauche doit rester unie

Au-delà des résultats définitifs du deuxième tour des législatives anticipées en France, dont les résultats préliminaires, tombés hier soir, dimanche 7 juillet 2024, l’ont donnée victorieuse, et quelles que soient les divergences quant à la nécessité ou à l’opportunité de participer à une coalition gouvernementale pour contrer l’extrême droite et ses alliés, la gauche doit retenir les leçons de l’expérience du Nouveau Front Populaire (NFP). (Illustration : la gauche unie renverse la tendance en à peine une semaine).

Mohamed Chérif Ferjani *

Ce mouvement est né, rappelons-le, dans l’urgence et sous la pression de la jeunesse, de la société civile et des militants de base refusant de voir les divisions et les egos des chefs laisser Macron et ses alliés en tête à tête avec la droite.

Mise au pied du mur par la décision capricieuse de Macron pariant, entre autres, sur l’impossible unification de la gauche pour imposer à nouveau son chantage «ou moi, ou le chaos !», la gauche a su relever le défi pour être au rendez-vous.

En quelques jours, ses différentes composantes ont réussi à s’entendre sur le principe de candidatures uniques autour d’un vrai programme de gouvernement que d’aucuns ne pensaient imaginable avant longtemps : devenir en moins d’un mois la première force politique pour redonner de l’espoir à celles et ceux qui sombraient dans le désenchantement et affichaient les signes de résignation à la fatalité de la disparition de la gauche.

Unité sur la base des convergences

Cette expérience a montré à ceux qui ne voyaient que les divergences entre les composantes de la gauche pour justifier leur démarche, sinon sectaire, du moins solitaire, qu’il est non seulement possible, mais nécessaire de relativiser les divergences, aussi importantes soient elles, par rapport aux impératifs du moment.

On peut toujours rechercher le maximum de convergences sur des questions importantes, qu’elles soient sectorielles ou générales, locales ou globales, économiques, sociales (ou sociétales), culturelles, idéologiques ou politiques, etc. C’est légitime et souhaitable pour renforcer les fondements de l’union souhaitée de façon durable; mais lorsque la recherche de telles convergences devient une menace pour l’unité possible sur la base de convergences réelles, il faut savoir laisser en débat les questions sur lesquelles portent les divergences pour maintenir et renforcer l’unité sur la base des convergences, sans que cela ne tourne à se suffire de consensus mous.

Il y a un temps pour les débats nécessaires et un temps pour l’action et la prise de responsabilité, sur la base des convergences et quelles que soient les divergences. On n’est pas obligé d’être d’accord sur tout ce que les uns et les autres jugent importants, pour faire fructifier ce qui est partagé et qui n’est pas moins important que ce qui divise.

Il faut laisser de côté la tentation du monolithisme et du sectarisme, qui en est le corollaire, en hiérarchisant les priorités non pas en fonction des rêves des un(e)s et des autres mais par rapport aux exigences objectives de chaque situation.

On peut avoir des appréciations différentes quant à ces exigences, mais il faut, malgré cela, accepter les partenaires en évitant les invectives et tout ce qui casse l’unité, insulte l’avenir et ferme la porte à la possibilité de s’entendre et de travailler ensemble.

Réussite de l’expérience du NFP

C’est ce qui a manqué à la gauche jusqu’à ce qu’elle soit mise au pied du mur par la dissolution surprise du 9 juin 2024. C’est aussi ce qui a permis la réussite de l’expérience du NFP. Il ne faut pas que les divergences inévitables qui surgiront dès le soir du deuxième tour des législatives anticipées, quels qu’en soient les résultats finaux, par rapport à la participation ou non à une coalition gouvernementale avec le centre et la droite républicaine, mettent fin à l’unité de la gauche.

Par respect à celles et ceux qui ont exigé cette unité et qui l’ont imposée aux états-majors des partis politiques, et pour ne pas décevoir les espoirs suscités par cette unification inespérée, il faut accepter, sans invectives, le choix de celles et ceux qui pensent qu’il faut intégrer une telle coalition  comme celui de celles et ceux qui veulent rester en dehors, dans l’opposition, en maintenant des liens entre les deux camps : le premier faisant pression de l’intérieur  pour les mêmes objectifs pour lesquels les autres font pression de l’extérieur, sans se traiter de traitres, d’ennemis et fermer par là la porte à la possibilité de se retrouver pour les prochaines échéances. Ce n’est qu’ainsi que la gauche réussira à maintenir son unité, à être prête pour les défis à venir et à gagner la confiance de celles et ceux qui croient en son projet.

C’est là un impératif pour la gauche en France comme pour les progressistes et les démocrates dans tous les pays. Ce n’est qu’ainsi que les forces de gauche, de progrès, de défense de l’universalité de l’humain et de ses droits, pourront devenir un pilier du combat contre le néolibéralisme et la révolution conservatrice dont l’extrême droite n’est que l’une des expressions.

* Professeur honoraire des universités, militant de gauche en France et en Tunisie, auteur, entre autres, de Néolibéralisme et révolution conservatrice (Nirvana Editions, Tunis, 2022).