Les explications données par Kaïs Saïed pour justifier le remaniement ministériel qu’il a opéré dimanche 26 août 2024, et qu’il a qualifié d’«indispensable», méritent que l’on s’y attarde, pour essayer de comprendre le fond de la pensée du président de la république, ce qu’il reproche aux ministres limogés et ce qu’il attend des nouveaux promus. Vidéo.
Imed Bahri
Pour le chef de l’Etat, qui s’adressait aux nouveaux ministres et secrétaires d’Etat venus prêter serment devant lui au Palais de Carthage, la situation dans le pays s’est transformée en un «conflit ouvert entre le peuple tunisien, déterminé à réaliser la justice et à lutter contre la corruption, et des parties qui se sont jetées dans les bras de lobbies étrangers, rêvant d’un retour en arrière.»
Qui sont ces parties dont parle souvent le président dans ses interventions publiques? Les opposants qui, à l’intérieur comme à l’étranger, reprochent à Saïed de n’avoir pas réussi à améliorer la situation globale dans le pays au terme d’un mandat qui touche à sa fin? Si c’est le cas, ces personnes sont dans leur rôle et on ne peut attendre d’eux qu’ils louent les «réalisations» d’un président sortant qui brigue un second mandat à l’occasion de la présidentielle du 6 octobre prochain.
Un système qui travaille dans les coulisses
Le problème, car problème il y a, puisque le chef de l’Etat n’appelle pas les choses par leurs noms et ne nomme pas les personnes qu’il stigmatise, recourant souvent à un discours imagé qui brouille la compréhension. En effet, dans son allocution, Saïed fait observer, selon l’agence Tap, que quelques jours après la nomination de certains responsables, «le système qui travaille dans les coulisses est parvenu à contenir un grand nombre d’entre eux, ce qui a transformé la situation en un conflit entre un système constitutionnel et un système corrompu dont les acteurs espèrent toujours un retour en arrière», laissant ainsi entendre que les ministres limogés ou la plupart d’entre eux n’ont pas seulement échoué dans leur mission, mais qu’ils ont même été récupérés par les fameux lobbys cherchant à faire revenir le pays à l’avant 25 juillet 2021, date à laquelle il avait proclamé l’état d’urgence, mis en place les jalons d’un nouveau régime, le sien s’entend, et lancé ce qu’il appelle la «lutte de libération nationale».
«Ces derniers n’ont pas compris que la Tunisie est entrée dans une nouvelle phase historique et que l’État fonctionne désormais à la faveur d’une Constitution adoptée par le peuple via un référendum», a cru devoir ajouter le président Saïed, en déplorant la persistance «des centres de pouvoir créés au sein des appareils de l’État, ce qui a nécessité une intervention immédiate pour y mettre fin.»
De qui parle le président de la république ? Des forces réfractaires qui résistent à la mise en œuvre de son projet politique ou bien désigne-t-il les ministres limogés ou certains d’entre eux qui n’ont pas compris de qu’on attendait d’eux ou qui, pire encore, se seraient mis au service de ces forces réfractaires ou n’auraient pas réussi à les contenir au sein des départements dont ils avaient la charge.
Si les choses n’ont pas évolué dans le bon sens et que les citoyens n’ont pas vu de changements positifs dans leur vie quotidienne (hausse des prix, baisse du pouvoir d’achat, dégradation des services publics, etc.), ce n’est pas faute de volonté politique mais parce que la plupart des membres du gouvernement n’ont pas réussi à mettre en musique les partitions présidentielles, semble dire Saïed. Ne n’est donc pas de sa faute si les choses ne bougent pas – ou très peu – dans le bon sens mais de celle des responsables limogés.
Rendre possible, même ce qui ne l’est pas
Dans ce contexte, le chef de l’Etat a tenu à rappeler à tous les responsables, les limogés qui n’ont pas compris pourquoi ils l’ont été autant que les nouveaux promus qui ne savent pas encore ce qui les attend, que la Constitution actuelle qu’il avait promulgué en 2022 stipule que le pouvoir exécutif est exercé par le président de la république, principal architecte des politiques gouvernementales, qui se fait assister par un gouvernement. «Le rôle d’un ministre est d’aider», a-t-il ainsi souligné au cas où on ne l’a pas compris. Ce qui veut dire que les membres du gouvernement, y compris leur chef, n’ont pas à concevoir et à appliquer «leurs» politiques. Ils sont censés mettre en œuvre celles conçues et annoncées par le président de la république. Bref, ce sont des exécutants, pour ne pas dire des subalternes. Et ils doivent, en quelque sorte, rendre possible, même ce qui ne l’est pas.
Saïed a également noté que parmi les signes du dysfonctionnement des rouages de l’Etat, tant au niveau régional que central, figurent le fait qu’un grand nombre de responsables n’ont pas rempli leurs devoirs, fermant leurs portes aux citoyens au lieu de se tourner vers eux et de trouver des solutions à leurs problèmes. «Le remaniement était indispensable», a-t-il martelé, en indiquant, au passage, aux nouveaux promus, la méthode qu’il préconise : ouvrir leurs portes aux citoyens et solutionner leurs problèmes. Comment y parvenir ? C’est leur affaire. Ils ne sont pas ministres pour rien.