C’est l’histoire d’un ancien ministre de la Santé, qui a créé des cliniques privées plus qu’il n’en faut, qui a contribué significativement au sabordage de l’hôpital public, et que certaines tierces parties sont en train d’en faire un héros, un homme politique, ce qu’il n’a jamais été, un parangon d’efficacité, une alternative et l’espoir d’un pays en un avenir meilleur, dont on peine – étant donné son passé – à comprendre comment il pourrait l’être.
Dr Mounir Hanablia *
Il y a près d’une vingtaine d’années, un médecin hospitalo-universitaire, dont le chef partait à la retraite, devait lui être substitué à la tête du service, eu égard à son ancienneté supérieure, sa compétence, et son intégrité. Mais l’époque était aux cabales, aux chocs feutrés des ambitions, aux haines cordiales, quand les nominations aux postes convoités dépendaient surtout des soutiens politiques des candidats, autrement dit des intrigues et des coups fourrés.
Un jour, le président du comité scientifique téléphona au candidat en question en lui disant que le ministre de la Santé viendrait visiter l’hôpital, qu’il lui poserait la question de savoir s’il accepterait la division du service en deux unités, et qu’il faudrait qu’il réponde par l’affirmative.
S’étant jusque-là uniquement occupé de traitement des malades, d’enseignement des étudiants, et de recherche, ce dernier était peu au fait des intrigues qui pullulaient dans les couloirs du ministère et dont le parti au pouvoir était partie prenante. Inconscient des enjeux, il donna donc son accord, par esprit de discipline, celui du fonctionnaire consciencieux exécutant les ordres de ses chefs. Et lorsque le ministre s’adressa à lui comme prévu, tout le monde, autrement dit le comité scientifique de l’hôpital, la direction régionale de la santé, les membres du parti en question et du syndicat, et le staff du ministre, furent témoins de son accord avec la proposition ministérielle.
Pressions cordiales et coups fourrés
Quelque temps après, il s’aperçut qu’en fait de service, il n’aurait à sa disposition que quelques lits, la quasi-totalité avec les unités d’exploration étant sous la responsabilité de l’un de ses collègues moins ancien que lui, mais qui bénéficiait du soutien, outre celui de l’ancien chef de service briguant un poste de consultant, d’un membre important de la famille du chef de l’Etat de l’époque. Ce collègue avait été mêlé quelques années auparavant à une histoire scabreuse de matériel médical périmé «prélevé» dans l’hôpital public où il exerçait et implanté dans une clinique privée. Le ministre en exercice, après lui avoir passé un copieux savon, avait, avec l’appui d’un célèbre conseiller à la présidence, couvert l’incident. Aucune sanction n’avait été prise. Et c’est à lui qu’«on» voulait confier l’essentiel du service au détriment du respect des règles hiérarchiques normales.
Bref, le candidat naturel refusa de parapher l’accord, ainsi qu’il avait promis de le faire, qui le lésait. Il s’ensuivit de multiples pressions afin de le soumettre, auxquelles il répondit par un courrier abondant et véhément.
Les choses étant ainsi, un remaniement ministériel propulsa à la tête du ministère de la Santé un autre ministre considéré comme le poulain de l’épouse du président qui visiblement voulait déboulonner de son piédestal le dit conseiller à la présidence qui avait la haute main sur le secteur médical et pharmaceutique dont il tirait influence et puissance.
Ce nouveau ministre avait pour mission d’abord de libéraliser le secteur médical au détriment de l’hôpital public, par la construction de nombreuses cliniques privées, ensuite de soumettre les médecins du secteur privé regroupés en syndicat qui refusaient de s’affilier à la Cnam, soutenus en cela par le conseiller à la présidence.
Toujours est-il que lorsque le nouveau ministre fut informé de l’affaire précitée, de la division du service, il tenta d’abord d’appliquer la décision de son prédécesseur, sous le prétexte de ne pouvoir le désavouer – quelques années plus tard après la révolution, la ministre de la Santé issue de Afek Tounès n’aurait pas autant de scrupules à rouvrir une unité définitivement fermée par son prédécesseur –. Mais face au désaccord profond entre le candidat «légitime» et celui qu’on ne peut qualifier que de «parachuté», il décida de détacher l’unité d’exploration, autrement dit le secteur névralgique enjeu véritable de l’affrontement, et d’en faire un service indépendant, qui serait confié à une troisième personne. Il en fit donc la proposition à un autre médecin du service qui naturellement s’empressa d’accepter et commença à recevoir des félicitations de la part de ses collègues de toutes les parties du pays pour sa nomination.
Deux semaines après, le troisième chef, celui de l’unité d’exploration, reçut un coup de téléphone du ministre le remerciant de son patriotisme et lui annonçant qu’en fait, il lui retirait sa proposition. Le service sera finalement partagé en deux, l’unité d’exploration demeurant sous la responsabilité du chef «parachuté», le chef «légitime» pouvant en disposer trois journées par semaine.
Les bourbiers de la démocratie
J’ai tenu à rappeler ces faits réels parce qu’il se trouve que ce ministre là, celui qui a créé des cliniques privées plus qu’il n’en faut qui aujourd’hui n’ont plus la clientèle nécessaire pour tourner, avec la disparition du marché libyen, et qui a contribué significativement au sabordage de l’hôpital public, certaines tierces parties sont en train d’en faire un héros, un homme politique, ce qu’il n’a jamais été, un parangon d’efficacité, une alternative et l’espoir d’un pays en un avenir meilleur, dont on peine étant donné son passé à comprendre comment il pourrait l’être.
Quant on pense qu’en matière de candidature à la présidence, il y a sur les rangs un autre ex-ministre de la Santé qui avait sanctionné un médecin pour avoir dénoncé l’usage de matériel réutilisé, ou qui annonçait l’usage de drones détecteurs de covid, on ne comprend qu’une chose: la participation à la présidentielle ne peut être uniquement du ressort de la justice, et on ne peut demander à cette dernière de faire plus que son travail.
On a vu vers quels bourbiers le culte du Veau d’Or, la démocratie, avait conduit le peuple durant dix longues années. Faut-il remettre le pied à l’étrier aux faux prophètes au nom des légendes urbaines dont les seuls à tirer profit, outre les colonialistes à l’affût, seraient des syndicalistes irresponsables, des politiciens opaques, et des hommes d’affaires troubles? L’intérêt réel du pays ne le permettrait pas.
* Médecin de libre pratique.