Les classes populaires chiites au Liban demeurent très attachées au Hezbollah

À l’exception de quelques rares voix chiites libanaises qui s’élèvent pour critiquer le Hezbollah et qui sont insultées et qualifiés de «chiites des ambassades» sous-entendant qu’ils seraient des traîtres à la solde des puissances occidentales, la majorité des chiites du Liban, surtout ceux appartenant aux classes populaires, demeurent attachés au parti pro-iranien qui leur procure les aides nécessaires durant la guerre et dont ils disent être sûrs qu’il leur reconstruira leurs maisons détruites comme en 2006. Toutefois, personne ne sait comment se terminera la guerre, si le Hezbollah aura les moyens pour reconstruire ce qui a été dévasté et surtout si le bailleur de fond iranien répondra présent et signera un gros chèque. (Ph. AFP).

Imed Bahri

Le journal britannique The Observer, version du week-end du Guardian, a publié une enquête préparée par Ruth Michaelson et William Christou dans laquelle ils affirment que les chiites du Liban s’accrochent toujours au Hezbollah estimant que celui-ci prend pleinement soin d’eux car il fournit aux déplacés nourriture, médicaments et abri. 

Lorsque la famille Sabra a fui les bombardements israéliens de Marj Oyoun, dans le sud du Liban, pour se réfugier dans la banlieue sud en octobre de l’année dernière, l’aide mensuelle du Hezbollah, une somme de dollars, l’a aidée à n’avoir besoin de personne et à ne plus avoir faim.

Lorsqu’ils ont été déplacés une deuxième fois dans une ville de montagne autour de la capitale, des repas, des colis alimentaires et même des produits de nettoyage sont parvenus d’une organisation liée au parti et leur ont permis de continuer à vivre sans problèmes. «Ils prennent incroyablement bien soin de nous et avec tout ce qui se passe actuellement, ils ne nous laissent jamais seuls», a déclaré Hind Sabra (qui n’est pas son vrai nom). Quatorze personnes issues de trois familles vivent dans sa maison, chacune recevant 200 dollars par mois ainsi que des médicaments à prix réduit et des colis alimentaires contenant du riz, de l’huile, des haricots et du thon.

Un parti omniprésent

La nourriture, les médicaments et l’argent font partie d’un réseau de soutien que le Hezbollah entretient depuis longtemps, notamment une banque qui a prospéré au milieu des années de crise financière que traverse le Liban, un fonds qui prend en charge les familles des personnes tuées au combat et une organisation de protection sociale responsable pour avoir distribué de l’argent à des dizaines de milliers de personnes déplacées dans le pays plus tôt cette année selon un responsable du Hezbollah.

Pendant deux décennies, le parti a dominé la fragile politique libanaise et a également contrôlé des aspects importants des secteurs industriel, agricole et de la construction.

Lina Khatib, de Chatham House à Londres, affirme que la place du parti s’est renforcée au point qu’il est désormais capable d’influencer et de contrôler l’État libanais à l’intérieur et à l’extérieur de ses institutions.

Des pays occidentaux comme les États-Unis et la Grande-Bretagne ont imposé des sanctions au parti et l’ont classé comme organisation terroriste même s’il se compose d’une organisation militaire et d’une aile politique représentée par des députés au parlement libanais et bénéficie d’un fort soutien populaire parmi la classe ouvrière chiite libanaise qui voit en lui un protecteur de ses intérêts et un important défenseur contre la force militaire israélienne.

Le journal a cité des chiites du Liban qui ont été déplacés ces dernières semaines après l’escalade israélienne et les intenses bombardements aériens sur Beyrouth et les régions du sud du pays se disant confiants dans la capacité du Hezbollah à leur fournir une protection, à reconstruire leurs maisons et à les indemniser en temps opportun à l’avenir.

Toutefois avec plus d’un million de personnes désormais déplacées, selon les chiffres du gouvernement libanais, l’absence de tout signe d’un cessez-le-feu imminent et les assassinats israéliens visant les dirigeants du Hezbollah, l’escalade actuelle pourrait mettre à l’épreuve la capacité du Hezbollah à soutenir sa base sur le long terme.

Un deuxième Gaza

Le journal rappelle que Benjamin Netanyahu a appelé le peuple libanais à défier le Hezbollah et à lui reprendre le pays ce qui indique un changement dans les objectifs d’Israël au Liban. le Premier ministre israélien a en effet indiqué que l’un des objectifs de la politique israélienne est désormais de changer la direction politique du pays au lieu de se concentrer sur la frappe du Hezbollah dans le sud. Il a menacé les Libanais que s’ils ne le faisaient pas, le Liban pourrait devenir un deuxième Gaza.

The Observer a cité Sam Heller, analyste chez Century International, disant que beaucoup dépend de l’étendue de la capacité des forces israéliennes à avancer dans le sud du Liban ainsi que de la clarté des dirigeants israéliens quant à leurs objectifs. Il a ajouté: «Si Israël réoccupait certaines parties du sud du Liban déplaçant des centaines de milliers de personnes qui constituent la base de soutien du Hezbollah, cela infligerait de réelles souffrances et, je pense, affaiblirait probablement l’organisation et compliquerait considérablement sa capacité à fournir des soins à ces gens.»

La guerre de 2006 a fait 1 200 morts et plus de 4 400 blessés, selon les chiffres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). La vague actuelle a provoqué le déplacement d’environ 900 000 personnes en un mois de combats.

La population fait confiance

Mona Talib, 41 ans, une enseignante qui a fui la banlieue sud vers les zones montagneuses entourant la capitale en quête de sécurité, craint que la guerre ne se poursuive plus longtemps que celle de 2006 et qu’elle cause davantage de dégâts. Cependant, elle affirme que la communauté chiite du Liban a placé sa confiance dans le Hezbollah et dans son bilan de reconstruction après la fin des combats en 2006 et a cité ce qu’elle a décrit comme sa foi profonde dans la victoire finale de l’organisation. Elle a déclaré: «Même si je perds ma maison, je sais qu’elle sera reconstruite. Cela peut prendre du temps, mais cela finira par arriver. Les gens ont une grande confiance dans la reconstruction de leurs maisons que ce soit dans la banlieue sud de Beyrouth, dans le sud du Liban ou dans la vallée de la Bekaa. Les gens retournent dans le passé, se souviennent de ce qui leur est arrivé et construisent leur avenir sur cette base.»

Talib a évoqué l’expérience d’une amie proche qui vivait au cœur de la banlieue: «Son immeuble a été complètement détruit pendant la guerre de 2006. Ils ont récupéré leur maison et je lui ai rendu visite dans l’ancienne maison et j’ai vu la nouvelle maison de mes propres yeux.»

Toutefois, Hachem Haidar qui dirige l’agence de développement régional du gouvernement libanais connue sous le nom de Conseil du Sud-Liban, n’en est pas si sûr. Il a déclaré que les bombardements israéliens en cours qui ont complètement détruit les villes et villages proches de la frontière actuelle avec Israël ont rendu difficile la détermination des dégâts. Concernant la question de savoir si le Hezbollah indemniserait plus tard ceux qui ont perdu leur maison comme il l’a promis récemment, il a déclaré: «Franchement, je ne sais pas».

Ahmed Noureddine (nom d’emprunt), 26 ans, a déclaré qu’il a vécu pendant plusieurs jours dans un abri temporaire géré par le Hezbollah mais qu’il était bondé même s’ils lui ont fourni l’essentiel de l’eau, de la nourriture et des médicaments. Cependant, l’expérience n’était pas confortable et il est parti dans un autre endroit. Comme Talib, il est redevable à Al-Qard Al-Hassan, la banque du Hezbollah que les États-Unis ont sanctionnée en 2007 pour ses liens avec le parti.

Concernant la justification de sa décision d’imposer des sanctions à sept des banquiers de l’ombre du Hezbollah en 2021, le Trésor américain a considéré que la Fondation Al-Qard Al-Hassan se déguise en organisation non gouvernementale tout en fournissant des services bancaires qui soutiennent le Hezbollah en contournant les réglementations et thésaurise la monnaie dont l’économie libanaise a désespérément besoin.

Noureddine a déclaré qu’il n’était pas inquiet du remboursement de son prêt de 6 000 dollars auprès de la Fondation Qard Al-Hassan, qui ne demanderait pas de remboursement pendant la guerre. Talib, qui a emprunté 3 000 dollars à la même institution, reste convaincue qu’elle ne lui demandera pas de la rembourser en temps de guerre pointant du doigt les personnes qui ont reçu le prix de leurs dépôts d’or détruits lors de raids il y a vingt ans.

«Les gens font confiance à cette institution et la confiance est plus importante que la protection», dit-il. Et ajoute: «Ce parti, si spécial, a libéré leurs terres et leur a donné une chance de retourner dans leurs villages et de profiter de la vie et il restera avec eux même s’il perd ses dirigeants. Il ne perdra pas la guerre. Les gens font confiance au parti sur la base de leurs expériences antérieures et il n’y a pas de guerre sans pertes et sans vainqueur.»

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