L’élection probable de Donald Trump le 5 novembre prochain, marquant son retour à la présidence des États-Unis, constituera un moment de bouleversement pour l’ordre mondial. Ce retour éventuel au pouvoir de celui qui a incarné le repli sur soi, l’unilatéralisme et la méfiance envers la coopération internationale, intervient à un moment où les défis planétaires n’ont jamais été aussi pressants.
Yahya Ould Amar
À la veille du sommet du G21 au Brésil qui doit se tenir le 18 novembre 2024, les priorités annoncées – inclusion sociale et lutte contre la pauvreté, développement durable et transitions énergétiques, ainsi que la réforme des institutions de gouvernance mondiale – se heurtent de plein fouet à la vision de l’Amérique que défend Trump.
Une telle élection rebat inévitablement les cartes, redéfinissant l’équilibre des forces sur des sujets essentiels pour l’avenir de la planète.
Face à la réalisation d’un tel tournant politique, les membres du G21, en particulier les pays du Sud Global, sont appelés à intensifier leurs efforts. La lutte contre la faim et la pauvreté, qui reste un défi majeur pour les pays en développement, pourrait être compromise si le soutien américain à l’aide internationale s’effrite davantage.
De plus, l’impératif de promouvoir un développement durable, déjà fragilisé par les crises environnementales et les inégalités économiques, risque d’être freiné par un désengagement américain des initiatives mondiales sur le climat.
Le G21 devra donc redoubler d’ingéniosité pour transformer ces défis en opportunités, tout en plaçant l’inclusion sociale et la justice environnementale au cœur de ses actions.
La question des réformes des institutions de gouvernance mondiale, longtemps repoussée, devient plus que jamais incontournable. La réélection de Trump, avec son rejet de ces institutions et sa vision protectionniste, exacerbe le besoin d’une refonte de la gouvernance internationale. Les pays émergents, en particulier, devront se mobiliser pour garantir que les voix de tous, et non de quelques-uns, soient entendues. Ce sommet du G21 au Brésil pourrait ainsi devenir un moment historique où, malgré les vents contraires, une coalition de pays déterminés façonnera un nouvel ordre mondial plus inclusif, plus durable et plus équitable.
L’improbable continuité
Si Donald Trump est réélu le 5 novembre, il semble peu probable que l’administration Biden, qui restera en fonction jusqu’au 20 janvier 2025, puisse véritablement engager la future administration Trump sur les décisions ou engagements pris lors du sommet du G21 au Brésil.
En théorie, jusqu’à la passation de pouvoir, le président sortant conserve toutes ses prérogatives constitutionnelles, et Joe Biden, en tant que chef d’État en exercice, participerait normalement au sommet, défendant les intérêts des États-Unis.
Cependant, plusieurs dynamiques complexes se dessinent dans une telle situation. À commencer par la période dite de «lame duck», durant laquelle un président battu aux élections conserve formellement ses pouvoirs, mais voit son influence s’étioler. Biden pourrait, en effet, s’engager sur des accords internationaux majeurs, mais ceux-ci resteraient fragiles, susceptibles d’être révisés, voire annulés, dès que Trump réinvestirait la Maison-Blanche en janvier. Cette réalité illustre la limitation des engagements pris durant une période de transition aussi incertaine.
Traditionnellement, cette phase de transition est marquée par une coopération entre les administrations sortante et entrante, notamment sur les questions de politique étrangère. Mais ici, l’antagonisme profond entre Biden et Trump risque de compliquer cette coordination. Trump, fidèle à sa logique de rupture, pourrait très bien rejeter en bloc les accords négociés par son prédécesseur, surtout s’ils concernent des dossiers qu’il a publiquement critiqués, comme le changement climatique ou les efforts multilatéraux. La continuité diplomatique en serait ainsi profondément compromise.
Bien que Biden puisse négocier au G21 et participer activement aux discussions, la réalité juridique et politique est telle que son successeur ne serait pas tenu de respecter les engagements pris, et pourrait très vite les ignorer ou les démanteler, affirmant ainsi sa propre vision d’une Amérique désengagée du multilatéralisme.
Une vision fragmentée face à l’urgence mondiale
La réélection de Trump le mois prochain, signifie un retour à une approche fondamentalement protectionniste, orientée vers l’intérêt national américain au détriment de la solidarité internationale. Pendant sa présidence 2017-2021, Trump avait drastiquement réduit les financements américains pour l’aide internationale, déstabilisant de nombreux programmes humanitaires qui soutiennent des millions de personnes dans le Sud global, notamment dans la lutte contre la pauvreté et la faim. Cette politique de désengagement risque de se poursuivre, voire de s’accentuer, compromettant directement les efforts du G21 pour promouvoir une inclusion sociale globale.
Le Brésil, en tant qu’hôte du G21, a placé la lutte contre la faim et la pauvreté au cœur de l’ordre du jour de la réunion du G21. Les pays du Sud Global, confrontés à des inégalités croissantes et à des défis socio-économiques exacerbés par la dernière pandémie de la Covid, les impacts de la guerre en Ukraine et le changement climatique, ont besoin d’une mobilisation internationale renforcée pour inverser ces tendances. Cependant, avec un Trump à la Maison Blanche, l’engagement des États-Unis dans des initiatives de lutte contre la pauvreté pourrait s’effriter, laissant un vide que les autres membres du G21 devraient combler.
Comme l’a souvent affirmé Barack Obama, «les défis globaux exigent des réponses globales». Le G21, malgré le retrait potentiel des États-Unis, devra continuer à innover et à renforcer les mécanismes de coopération Sud-Sud, en créant des partenariats stratégiques entre les économies émergentes. Des initiatives telles que la Nouvelle Banque de Développement des Brics pourraient jouer un rôle important en finançant des programmes de réduction de la pauvreté, en particulier dans les secteurs agricoles et de la sécurité alimentaire, allégeant la dépendance aux financements américains.
Un frein à la coopération climatique mondiale
Le deuxième axe prioritaire du G21, le développement durable et les transitions énergétiques, pourrait également être gravement impacté par le retour de Trump au pouvoir. Sa première présidence a été marquée par un scepticisme notoire vis-à-vis du changement climatique, culminant avec le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris. La réélection de Trump menace de freiner l’élan collectif pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux, d’autant plus que les États-Unis, deuxième plus grand pollueur du monde après la Chine, ont un rôle clé à jouer dans la réduction des émissions de CO2.
Le G21, sous la présidence du Brésil, se concentre sur l’accélération des transitions énergétiques, notamment en soutenant les énergies renouvelables et en favorisant l’innovation technologique pour un avenir sans carbone. Si Trump persiste dans sa politique de soutien aux industries fossiles, ce qui est quasi-certain, cela pourrait déséquilibrer les discussions et retarder l’adoption de mesures concrètes à l’échelle mondiale. Les pays en développement, qui dépendent de l’accès à des technologies propres et de financements pour mener à bien leur transition énergétique, risquent de voir leurs ambitions se réduire si les États-Unis se désengagent des mécanismes de financement climatique comme le Fonds vert pour le climat (Green Climate Fund, GCF).
Les pays du Sud Global, confrontés aux impacts dramatiques du changement climatique, peuvent se tourner vers des partenaires alternatifs, comme l’Union Européenne et la Chine, pour accélérer leurs efforts de décarbonisation.
La coopération Sud-Sud, combinée à des financements innovants tels que les partenariats publics-privés, pourrait compenser l’absence de leadership américain et ouvrir la voie à des transitions énergétiques autonomes, probablement plus adaptées aux besoins des pays en développement.
Réforme des institutions de gouvernance mondiale
Le troisième pilier du G21, la réforme des institutions de gouvernance mondiale, pourrait être la priorité la plus affectée par la réélection de Trump. Ses critiques répétées à l’égard des institutions multilatérales, que ce soit l’Onu, l’OMC ou même le FMI, témoignent d’une méfiance profonde envers les mécanismes de coopération internationale. Sous son leadership, les États-Unis ont cherché à réduire leur influence au sein de ces institutions, tout en encourageant des approches bilatérales ou unilatérales.
Le G21, en réunissant des économies développées et émergentes, vise précisément à redéfinir les structures de gouvernance mondiale pour qu’elles reflètent les réalités du XXIᵉ siècle, en particulier en donnant plus de voix aux pays en développement. Le système actuel, hérité de l’après-guerre, est largement dominé par les puissances occidentales. La réélection de Trump pourrait ralentir ce processus de réforme, car les États-Unis, en tant que principal acteur, refuseraient probablement de céder une partie de leur pouvoir ou de réformer les institutions en profondeur.
Cependant, le G21 peut profiter de cette résistance pour accélérer les réformes sans attendre le soutien des États-Unis. Les pays émergents et en développement pourraient renforcer leur coopération au sein d’institutions alternatives, comme la Nouvelle Banque de Développement ou la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. En s’unissant, ces pays peuvent rééquilibrer les rapports de force mondiaux et faire pression pour une gouvernance mondiale plus inclusive.
La dette des pays du Sud Global
Trump a historiquement montré peu d’intérêt pour les initiatives multilatérales visant à alléger la dette des pays en développement. Ce qui pourrait freiner les efforts de coopération internationale visant à restructurer la dette des pays du Sud Global, en particulier ceux qui sont les plus vulnérables aux crises économiques et climatiques. Les États-Unis, en tant que membre clé des institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), pourraient bloquer ou ralentir les discussions sur des mécanismes de restructuration de la dette ou d’annulation partielle, freinant ainsi la dynamique de solidarité internationale attendue au G21.
La question de la dette n’est pas seulement économique. Elle est aussi profondément liée aux défis du développement durable et de la transition énergétique. Les pays du Sud Global, en particulier ceux lourdement endettés, sont pris dans une spirale qui les empêche d’investir dans les infrastructures vertes et dans les mécanismes d’adaptation climatique. Si le G21, sous l’impulsion de pays émergents, parvient à définir de nouveaux cadres pour l’allégement de la dette en échange d’engagements environnementaux, nous pourrions assister à une transformation fondamentale de la relation entre dette et développement. Des initiatives comme l’échange «dette contre nature», où des parties de la dette sont annulées en contrepartie d’investissements dans la protection de l’environnement ou la transition énergétique, pourraient devenir des piliers des discussions au G21.
Enfin, l’élection imminente de Trump, bien qu’elle constitue indéniablement un défi pour le G21, que ce soit en matière de risques environnementaux, de tensions commerciales ou de recompositions géopolitiques, ne doit pas être perçue uniquement comme un obstacle. Certes, elle risque de freiner les dynamiques de coopération internationale, mais elle ouvre aussi une fenêtre inédite d’opportunités.
Les économies émergentes se voient confrontées à la nécessité de prendre leur destin en main, d’accélérer des réformes structurelles et de tisser de nouvelles alliances pour pallier un retrait probable des États-Unis sur les sujets de développement. Comme le rappelait si justement Barack Obama : «Le changement ne viendra pas si nous attendons une autre personne; c’est nous que nous attendions».
* Economiste, banquier et financier.
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