Les éditions Alifbata, maison d’édition située à Marseille et spécialisée dans la publication d’œuvres du Maghreb et du Moyen-Orient, annoncent la sortie, le 28 mars prochain, en coédition avec les éditions Nirvana, à Tunis, du roman graphique ‘‘Le Seigneur des Rats’’, adaptation graphique d’une nouvelle de Gilbert Naccache, figure intellectuelle et militante de la gauche tunisienne, écrite durant sa longue détention sous le régime de Habib Bourguiba.
Djamal Guettala
Gilbert Naccache est une figure emblématique de la gauche tunisienne. En 1967, il adhère au groupe Perspectives, un mouvement politique qui s’insurge contre le durcissement autoritaire du régime de Habib Bourguiba. En 1968, Naccache est arrêté avec les autres membres du groupe de réflexion et condamné à seize ans de prison pour complot contre la sûreté de l’État. Il passera onze ans en prison, et ce n’est qu’en 1979, grâce à la liberté conditionnelle, qu’il retrouvera une certaine liberté, sans récupérer totalement ses droits. Ce sera fait après la révolution de 2011.
Une œuvre entre fiction et engagement politique
C’est durant sa détention que Naccache commence à écrire. Sur des emballages de paquets de cigarettes Cristal, il rédige des textes qui seront plus tard publiés sous le titre ‘‘Cristal’’ en 1982. Ce livre inaugure en Tunisie ce que l’on appellerait plus tard les «écrits de la détention politique», genre que Naccache préférait nommer «écrits de la liberté».
Tout au long de son œuvre, le militant interroge l’histoire de la Tunisie contemporaine, sa quête de liberté et l’importance de l’engagement. Il a également été un activiste infatigable au sein de la société civile, mais il restera un «électron libre» et sans engagement partisan connu jusqu’à sa mort en 2020.
La nouvelle ‘‘Le Seigneur des Rats’’, écrite en 1976 à la prison de Borj-Roumi, figure parmi ses œuvres majeures. Elle est parue dans le recueil ‘‘Le Ciel est par-dessus le toit. Nouvelles, contes et poèmes de prison et d’ailleurs’’ (Éditions du Cerf, 2005, Paris), et elle questionne les rapports de domination à travers le prisme d’une dystopie où l’invasion de rats symbolise la montée d’un pouvoir totalitaire.
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L’adaptation graphique : ‘Z’ à l’œuvre
L’adaptation graphique du ‘Seigneur des Rats’ a été confiée à ‘Z’, pseudonyme d’un artiste tunisien né en 1979. Architecte de profession, cyberactiviste la nuit, ‘Z’ s’est fait connaître en 2007 grâce à son blog Débat Tunisie, où il commente et croque l’actualité tunisienne avec un humour mordant. L’anonymat qu’il a choisi lui permet de critiquer sans détour la politique de Ben Ali et de dénoncer l’autoritarisme du régime tunisien.
En 2011, suite à la révolution, ‘Z’ publie son premier album ‘‘Révolution ! Des années mauves à la fuite de Carthage’’ (éd. Cérès, Tunis), et son travail est largement diffusé dans la presse internationale, notamment dans Courrier International, La Repubblica et The Economist. Aujourd’hui encore, ‘Z’ continue de préserver son anonymat tout en alimentant régulièrement son blog.
Le projet d’adaptation du ‘‘Seigneur des Rats’’ lui avait été confié par Gilbert Naccache avant sa mort, et ce rêve est désormais devenu réalité avec la publication de ce roman graphique. À travers son style incisif et engagé, ‘Z’ réapproprie les pages visionnaires de Naccache, qui résonnent avec les dérives autoritaires des sociétés contemporaines.
Un hommage aux prisonniers politiques
Le projet a été soutenu par Azza Ghanmi, militante féministe et veuve de Gilbert Naccache, qui voit en cette adaptation un hommage aux hommes et aux femmes emprisonnés pour leurs idées politiques. «’’Le Seigneur des Rats’’ n’est pas qu’un récit dystopique, c’est aussi une allégorie des luttes passées et présentes, une œuvre qui continue de résonner avec l’actualité», souligne-t-elle.
Avec ‘‘Le Seigneur des Rats’’, le dessin rejoint la littérature pour raviver la mémoire de Gilbert Naccache et prolonger son combat pour la liberté. Cette adaptation en roman graphique s’inscrit dans une tradition où l’art et la politique se rejoignent pour interroger notre époque et ses dérives autoritaires.
L’ouvrage sera disponible à partir du 28 mars 2025 dans les librairies et sur le site des éditions Alifbata.
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Alifbata, un acteur de la scène graphique arabe en France
Les éditions Alifbata, situées à Marseille, ont été fondées pour transcender les frontières culturelles et géographiques. Elles prennent leur nom des trois premières lettres de l’alphabet arabe, symbolisant ainsi leur engagement à faire dialoguer le monde arabe avec l’ensemble de la Méditerranée.
Alifbata se consacre à croiser les imaginaires, à dévoiler les syncrétismes et à donner accès à diverses perceptions du monde. L’objectif est de briser les a priori et de proposer une lecture renouvelée du monde arabe, à travers des œuvres qui créent des liens et ouvrent des perspectives. Avec ‘‘Le Seigneur des Rats’’, les éditions Alifbata continuent leur mission de diffusion de la culture du Maghreb et du Moyen-Orient. Fondée en 2015, elles offre également un espace aux résidences d’artistes et aux ateliers pour encourager les rencontres et les collaborations culturelles entre la France et les pays arabes.
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