Youssef Chahed se rendra aux Etats-Unis ce dimanche 9 juillet 2017, visite qui coïncide avec la réduction de l’aide américaine à la Tunisie envisagée par Donald Trump.
Par Conor McCormick-Cavanagh *
L’administration de Donald Trump entend mettre en œuvre un ensemble de changements majeurs en matière d’aide à l’étranger. Annoncé en mai dernier et prévu d’être voté l’automne prochain, le projet de budget des opérations étrangères américaines pour l’année fiscale 2018 prévoit de réduire de manière drastique le budget du département d’Etat pour la Tunisie. L’on s’attend à ce que cette enveloppe soit ramenée d’un peu plus de 177 millions de dollars pour l’année fiscal 2016 à seulement 54,5 millions de dollars, soit une réduction d’à peu près 30% par rapport au précédent budget.
Coupe sombre pour la Tunisie, largesses pour… Israël
En tant qu’unique véritable démocratie de la région du Moyen-Orient et d’Afrique du nord (Mena), même si, par certains aspects, cette expérience reste limitée, la Tunisie verra ainsi son budget chuter, alors l’assistance américaine offerte à des pays non-démocratiques comme la Jordanie et l’Egypte ne baissera que dans une mesure très légère, selon le projet de budget proposé.
L’enveloppe d’aide à Israël, elle, demeure inchangée, à 3,1 milliards de dollars.
Ces coupes budgétaires – ou leur absence, ainsi qu’il est le cas pour Israël – met en évidence cette obsession qu’entretient l’administration Trump avec l’anti-terrorisme et la question sécuritaire, plutôt qu’avec des démarches diplomatiques plus souples. Et même à ce niveau, les choses se compliquent puisque, ainsi que l’a rappelé Sarah Yerkes de la fondation Carnegie Endowment for International Peace, dans ‘‘The Hill’’ le 20 juin dernier, l’administration Trump entend transformer l’aide militaire des Etats-Unis à la Tunisie de subvention en prêt, compliquant ainsi les relations entre les deux pays.
Le projet de budget propose également de réduire de 62% l’enveloppe allouée à l’Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient (Mepi, en anglais), qui pourrait imposer des restrictions à un certain nombre de programmes d’échange pour les jeunes Tunisiens. Ces programmes ciblent précisément la formation d’étudiants et de jeunes adultes tunisiens en techniques d’encadrement, avec l’intention de les préparer à être à l’avenir des acteurs principaux dans une Tunisie allant de l’avant.
Ahmed Medyen, 28 ans, ancien bénéficiaire d’un de ces programmes d’échange, a déclaré à ‘‘Al-Monitor’’ que «ces programmes ont le mérite de servir d’égalisateur de chances pour les étudiants des pays en développement; ils leur permettent de nourrir de grands rêves et de voyager sans restrictions.»
Malheureusement pour les jeunes Tunisiens intéressés de poursuivre leurs études aux Etats-Unis grâce à ce type de programmes d’échange, ces coupes budgétaires américaines semblent être inévitables. En termes de programmes internes, cet accent mis sur la priorité antiterroriste, au détriment de tout le reste, est surprenant puisque plusieurs des programmes que les Etats-Unis soutiennent en Tunisie s’attaquent aux racines mêmes de ce qui pousse certaines personnes à rejoindre les rangs de groupes extrémistes comme l’Etat islamique (EI), notamment l’exclusion des jeunes.
L’ambassade des Etats-Unis à Tunis œuvre sur la formation professionnelle et l’acquisition de compétences, organise des ateliers et réunit des étudiants de la langue anglaise en provenance de toutes les régions de la Tunisie, de façon à leur permettre d’avoir accès à diverses opportunités d’instruction. En d’autres termes, l’ambassade américaine travaille précisément sur l’inclusion des jeunes de la meilleure manière possible. Les agents de l’ambassade estiment que cette tâche est particulièrement importante puisque les sentiments d’exclusion et le manque d’opportunités peuvent mener les jeunes gens vers l’extrémisme, surtout en Tunisie, pays qui a contribué par milliers au nombre de combattants étrangers qui ont rejoint l’EI.
Les diplomates américains embarrassés
Le politologue Youssef Chérif s’inquiète que ces réductions de l’aide américaine à la Tunisie interviennent à un moment où les autres partenaires politiques et économiques du pays – l’Union européenne, le Qatar et la Turquie – sont eux-mêmes en butte à leurs propres difficultés sérieuses – le Brexit, la crise du Golfe et la situation politique difficile turque, par exemple. L’analyste ne manque de rappeler les avantages importants que la Tunisie a pu tirer du soutien des Etats-Unis. «La société civile tunisienne a connu un développement spectaculaire grâce à l’aide et au financement américains; des centaines de jeunes étudiants tunisiens ont eu la chance de poursuivre leurs études aux Etats-Unis, à la faveur de nombreux programmes d’échange; et même des réformes structurelles ont été mises en œuvre dans les systèmes administratifs et économiques tunisiens, dans une très large mesure par le biais de prêts et de subventions américains», déclare-t-il à ‘‘Al-Monitor’’.
Le travail de l’ambassade des Etats-Unis et de l’Agence américaine pour le développement international en Tunisie ne représente qu’une petite contribution à l’effort collectif fourni par le gouvernement et la société civile tunisiens et les acteurs internationaux. Cependant, en rapport avec le volume du budget de l’Etat américain dans son ensemble, ce dont la Tunisie a besoin reste une petite enveloppe qui peut avoir un impact très positif.
Contacté par ‘‘Al-Monitor’’, les responsables de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, pour souci de neutralité partisane traditionnelle, ont choisi de ne pas se prononcer sur le projet de budget 2018 de l’Etat américain. La représentation diplomatique américaine préfère se limiter à avancer des argumentaires génériques du genre: «Ce changement d’approche du budget n’implique pas un changement de la politique des Etats-Unis à l’égard de la Tunisie, ni un changement dans l’axe du partenariat nous liant à la Tunisie et aux forces armées tunisiennes. La Tunisie demeure un partenaire loyal et important pour les Etats-Unis.»
Même si le personnel de l’ambassade américaine à Tunis opte pour le silence et l’esquive, il est évident que, désormais, sa position est loin d’être confortable. Ainsi que l’indique Youssef Chérif, «l’aide américaine au développement et le soutien sécuritaire des Etats-Unis à la Tunisie, au lendemain de la révolution de 2011, ont appuyé la transition du pays d’un régime des plus dictatoriaux du monde vers une démocratie des plus prometteuses.» Alors qu’ils expriment toujours leur appui rhétorique à la cause tunisienne, le travail des membres de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis est devenu plus difficile, étant donné le projet de budget de l’administration Trump mettra nettement moins de moyens à la disposition de la mission diplomatique américaine.
Des responsables compétents œuvrent au sein du département d’Etat américain. Et l’administration Trump devrait mettre à leur disposition les instruments et les fonds dont ils ont besoin de façon à ce qu’ils exercent leurs fonctions de la meilleure manière. Autrement, il ne nous resterait qu’à souhaiter que la Tunisie poursuive sur la voie du progrès et de la réussite, seule – même si cela se passe avec une aide américaine moins importante.
De plus, les partisans américains de la Tunisie devraient se tenir au courant du prochain débat du Congrès sur le projet de budget de l’administration Trump, qui se tiendra l’automne prochain. Le lobbying en faveur du maintien du même niveau d’aide américaine à la Tunisie n’influencera le budget de l’Etat américain que dans très faible mesure, mais, une chose est sûre, il produit des dividendes énormes en matière de progrès continu pour la Tunisie.
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
* Conor McCormick-Cavanagh, contributeur basé à Tunis pour le compte d’Al-Monitor. Il commente notamment les affaires politiques et culturelles dans la région Mena.
**Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Source: ‘‘Al Monitor’’.
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