Saisie de devises chez un trafiquant.
Ce qui manque à la lutte contre le trafic des devises en Tunisie, c’est une véritable volonté politique de remédier aux nombreuses failles qui le facilitent.
Par Khémaies Krimi
La politique de change en Tunisie a été marquée, ces derniers temps, par deux initiatives. La première est la promesse faite, le 11 septembre 2017, par le chef du gouvernement Youssef Chahed à l’occasion de la présentation de ses nouveaux ministres pour un vote de confiance, d’élaborer un projet de nouvelle loi de change permettant l’ouverture de comptes en devises. La seconde, et la plus concrète, a été l’adoption, le 13 octobre 2017, par un conseil ministériel restreint (CMR) d’un décret autorisant l’ouverture de bureaux de change indépendants sur tout le territoire tunisien.
Objectifs poursuivis
Objectifs déclarés des deux initiatives : lutter contre l’essor du marché noir des devises, orienter les opérations de change effectuées illégalement vers les canaux officiels, renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et régulariser la situation des Tunisiens résidant en Tunisie, qui ont de l’argent à l’étranger.
Objectifs non-déclarés : une fois mises en œuvre, ces deux initiatives permettront, en principe, de renforcer le stock en devises de la Banque centrale de Tunisie (BCT). En clair, ils permettront à l’institut d’émission d’intervenir indirectement sur le marché de change et de faire face à la dépréciation du dinar tunisien (DT).
Ces mesures que certains experts qualifient de «mesurettes» ne sont pas hélas, au regard de certains analystes, suffisantes pour combattre le trafic de devises et renflouer les réserves en devises du pays.
D’après eux, il existe encore des failles administratives, procédurales et législatives que les trafiquants de devises et les financiers du terrorisme peuvent exploiter pour transférer les fonds en Tunisie.
Les failles existent toujours
Lors d’un débat sur la chaîne publique Watania 1, Mustapha Kamel Ennabli, ancien gouverneur de la Banque centrale et ancien ministre du Développement économique du temps de Ben Ali, en a citées quatre.
La première, la plus tangible est celle constituée par la contrebande. Les contrebandiers, de fins connaisseurs des frontières, peuvent approvisionner les terroristes (cellules dormantes) en fonds en devises.
La deuxième se situe au niveau des postes frontaliers terrestres, maritimes et aériens. Des Tunisiens et des étrangers non-résidents peuvent, selon lui, en toute légalité et sans aucune limite des montants, ramener des fonds en Tunisie (dans des valises et par d’autres moyens) pour peu qu’ils les déclarent à la douane à leur arrivée.
L’ennui, ici, c’est que les autorités compétentes n’assurent aucun suivi des fonds transférés. De manière plus claire encore, rien n’est fait pour contrôler l’affectation des fonds transférés.
Pis, le transporteur de fonds, qui les a déclarés en bonne et due forme, peut quitter le pays, le lendemain, sans être inquiété par quoi que ce soit et sans avoir à rendre compte ce qu’il avait fait des fonds importés.
La troisième faille est représentée par les associations islamistes d’obédience salafiste jihadiste ou autres. En vertu de la loi qui régit ces Ong, celles-ci sont habilités à recevoir des donations de l’extérieur et à rendre public, selon la loi, les montants au-delà de 100.000DT et à informer le gouvernement de leur affectation. Seulement, cette loi n’a jamais été appliquée avec rigueur.
La quatrième faille réside dans le transfert de fonds étrangers aux associations et à des particuliers extrémistes par le canal des banques de la place (banques publiques, privées, off shore, étrangères). Ces dernières sont tenues, en principe, d’informer la Banque centrale chaque fois qu’elles doutent d’une transaction financière et de la destination de fonds.
Une fois informée la BCT peut alors saisir la justice pour vérifier la traçabilité des fonds transférés. Mais apparemment, ces banques traînent du pied pour le faire. Elles trouveraient dans ces transferts leur compte.
Au regard de ces failles, il semble que la problématique du trafic des devises reste entière et que ce qui manque cruellement à la lutte contre ce trafic, c’est une véritable volonté politique. Si jamais cette dernière se manifeste, elle se traduirait par la promulgation de lois dissuasives à même de remédier à ces failles administratives et procédurales assassines pour l’économie du pays.
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