En lice pour le Prix Comar : Azza Filali ou le roman comme quête de soi

Dans son neuvième roman, ‘‘Malentendues’’ (éd. Elyzad, Tunis, 2024, 322 pages), dont l’action se déroule dans le cadre idyllique de l’île de Djerba, entre plages, villages et palmiers, Azza Filali brosse des portraits de femmes, soumises ou rebelles, qui renvoient à son personnage principal, enquêtrice occasionnelle, sa propre image de femme résignée qu’effraient ses propres velléités de révolte.

Par Imed Bahri

Le personnage central, Emna, avocate venue de Tunis, est chargée par la représentation de l’Union européenne à Tunis de réaliser une enquête sur les conditions des femmes dans le village de Tezdaïne, en vue d’«évaluer leur degré de civisme, d’autonomie, leurs relations avec leur conjoints», et de les sensibiliser «à leurs droits civiques, comme disposer d’une carte d’identité, aller voter, ne pas être malmenées par les hommes… », et ce en préparation de la mise en place d’un plan d’aide plus large destiné à toutes les Djerbiennes.

Forcer les murs de la tradition

Ce sont, on l’a compris, les tribulations de l’enquêtrice à travers l’île, ses rencontres avec les femmes de Tezdaïne, près de Midoun, leurs époux et les responsables locaux que nous narre l’auteure qui, dès les premières pages, nous fait comprendre que la mission en question ne sera de tout repos, et que l’enquêtrice va devoir triompher des pesanteurs bureaucratiques et des résistances sociales pour pouvoir pénétrer les arcanes d’une société conservatrice, réservée, suspicieuse, ferrée dans ses certitudes ancestrales. Mais qui livre, peu à peu, à l’enquêtrice en vadrouille, ses non-dits, ses interrogations, ses frustrations et jusqu’à ses secrets de famille les mieux gardés. Loin d’être toutes des femmes résignées, acceptant la part congrue que leur concède une société patriarcale, les villageoises se révèlent être, à leur manière, des combattantes qui savent faire valoir leurs droits malgré tout.   

A la fois fascinée et intriguée par le monde opaque où elle est entrée par effraction, Emna se prend au jeu et tente de forcer les murs de la tradition, quitte à se mettre sur le dos une bonne partie des habitants de Tezdaïne, les hommes bien sûr, mais aussi et surtout, certaines femmes qui cherchent à préserver leur intimité, quitte à accepter la violence quotidienne dont elles font l’objet de la part de leurs époux, mais pas seulement, puisque le groupe dans son ensemble semble se barricader et rejeter toute intrusion. Mais peu à peu, les murs tombent et les femmes se laissent aller aux confidences, poussées aux confessions par le drame de l’une d’entre elles qui, ne pouvant plus résister aux pressions intenables d’un mari violent, se donne la mort.

Légèreté, beauté, drôlerie et autodérision

Comme un fil rouge, l’amour naissant pour un homme marié qui la séduit suscite des interrogations chez Emna sur sa propre vie de femme et d’épouse, en apparence rebelle, ouverte et moderne, mais en réalité pas assez libérée, elle non plus, des conventions sociales. Aussi sa relation incertaine à son corps et ses désirs insatisfaits par un époux dépressif, qui la néglige, l’exploite et vie désormais à ses basques commencent à susciter, chez elle, des questions existentielles qu’elle ne peut plus éluder.

Ce sont, on l’a compris, ces éternels «malentendus», ces non-dits lancinants et ces douleurs tues qui finissent par éclater au grand jour et mettre Emna face à ses propres ses capitulations devant un «conformisme social, plus lourd qu’une chape de plomb». C’est alors que l’enquête se transforme peu à peu en une sorte de quête de soi, d’auto-introspection, de descente dans les profondeurs de l’être qui doute et qui s’interroge… Le tout servi par une écriture alliant légèreté, limpidité, beauté, drôlerie et autodérision qui donnent à ce roman son caractère ensoleillé.

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