Des statistiques internationales prouvent la solidarité grandissante de la diaspora tunisienne envers l’économie nationale, afin de l’aider à s’en sortir de sa mauvaise posture post-2011.
Par Asef Ben Ammar, Ph.D
Début octobre 2017, le Fonds monétaire international (FMI) a fait le point des «Perspectives et politiques mondiales 2017», et a mis en exergue l’impact grandissant des montants de devises transférés annuellement par les émigrants vers leur pays d’origine (chapitre 1 du rapport).
Aux fins de la démonstration, le FMI a compilé de nouvelles bases de données statistiques et économétriques, traitant entre autres de la Tunisie. Dans la même veine, une autre étude économétrique à paraître en décembre 2017, dans la revue scientifique ‘‘Research in International Business and Finance’’ (Elsevier), quantifie les impacts économiques et politiques positifs de la diaspora tunisienne sur les processus de transitions démocratique et économique vécues en Tunisie depuis 2011.
La suite de cette chronique économique répond à deux questions : i) que sait-on au sujet de l’apport économique de la diaspora de l’étranger à l’économie tunisienne d’aujourd’hui ? ii) que dire et quoi suggérer au gouvernement pour mieux optimiser et mieux valoriser les transferts de devises de la diaspora tunisienne?
Les «remittances» de la diaspora tunisienne avoisinent 10% du PIB
Dans «Perspectives de l’économie mondiale» (14 octobre 2017), le FMI confirme que la diaspora tunisienne vivant à l’étranger (émigrés, expatriés, etc.) transfère en Tunisie l’équivalent de presque 10% du PIB. Le tout en devises fortes et transitant par les canaux des réseaux bancaires et postaux officiels. C’est au minimum 2,5 milliards de $US, qui sont annuellement récupérés par l’économie tunisienne, grâce aux transferts de ses émigrés et expatriés.
Le tout pour alimenter ses réserves en devises, mettre plus de cash et de combustibles dans ses agrégats économiques (investissement, consommation, épargne, etc.).
C’est énorme et c’est sans précédent. Ces transferts en devises dépassent facilement les 8 milliards de dinars tunisiens (DT), annuellement.
Une telle information change totalement la donne des politiques publiques, puisque ces transferts documentés par les statistiques du FMI et de la Banque mondiale constituent désormais plus que le triple des IDE (investissements directs extérieurs), le quintuple du total des montants de l’assistance internationale apportée annuellement à l’économie tunisienne par les pays amis, partenaires et autres assimilés.
Et ce n’est pas tout! Désormais, la manne procurée par la diaspora ramène presque trois fois plus que les recettes en devises rapportées par l’ensemble du secteur touristique annuellement. La ministre du Tourisme a, la semaine dernière, fait le point à ce sujet estimant que le tourisme a rapporté à l’économie tunisienne (entre janvier et octobre 2017) l’équivalent de 2,6 milliards de dinars, en devises fortes. Les médias ont documenté amplement ces statistiques officielles, dans leur chronique et Unes, la semaine passée.
Les analystes et les élites économiques et politiques n’en reviennent pas, et ont de la peine à réaliser cette mutation rapide dans la structure économique et financière des sources de revenus en devise de l’économie tunisienne.
Mais, au-delà des dollars, euros et autres dimensions monétaires mercantiles, ces données en disent long sur la solidarité grandissante de la diaspora tunisienne envers l’économie tunisienne, afin de l’aider à s’en sortir de sa mauvaise posture post-2011.
L’apport économique brute de cette diaspora de l’étranger, atteint l’équivalent de 12% à 13% du PIB (un peu moins que le double des transferts officiels en devises), si on tient compte de tous les transferts en nature; équipement durable (tracteurs agricoles, camions de transport, outillages de construction, voitures, etc.) et de biens à haute intensité technologique (ordinateurs, machineries, outils de travail modernes, logiciels, savoir-faire, etc.).
Au total, c’est l’équivalent de presque 13 milliards de dinars tunisiens qu’injecte annuellement la diaspora tunisienne dans son pays d’origine, dans tous les secteurs, mais surtout dans toutes les régions défavorisées, ayant poussé leurs jeunes gens à aller voir ailleurs, faute d’emplois viables sur place, et ce depuis les années 1970.
Dans les pays du MENA (Middle East & North Africa), il n’y a que les diasporas libanaise (plus ancienne) et marocaine (plus nombreuse) qui font mieux que la Tunisienne, sur le front du transfert en devises et en nature dans leur pays d’origine (remittances en $US).
Pour l’économie tunisienne, il s’agit de très bonnes nouvelles. Des nouvelles de vraie solidarité, mais pas seulement! De nouvelles avant-gardistes qui se font déjà sentir par des signes diffus, mais tangibles annonçant une reprise progressive de la croissance économique.
Et on ne doit pas se le cacher, la reprise qui se dessine s’affirme en dépit de l’asthénie encore palpable du Tourisme (malgré les millions de dinars engloutis pour repartir le secteur); et en dépit du fardeau de l’endettement (service de la dette grandissant), ainsi que du recul net et concomitant des transferts de l’assistance internationale et des IDE (investissements directs étrangers). Le graphique suivant donne une vue d’ensemble issue des données statistiques du FMI et de la Banque mondiale (le site de la Banque mondiale ne procure pas les données sur les recettes touristiques).
La diaspora tunisienne solidaire des transitions démocratique et économique
Dans la même veine, le rapport de recherche économétrique produit par Hanna Edelbloude, Charlotte Fontan Sers, Farid Makhlouf (dec. 2017), les auteurs ont voulu répondre à la question suivante : est-ce que les transferts en devises opérés par les émigrants et expatriés de la Tunisie vers leur pays d’origine se sont intensifiés (ou relâchés) depuis 2011. Le texte porte d’ailleurs ce titre «Do remittances respond to revolutions? The Evidence from Tunisia».
Les résultats de la recherche apportent deux réponses économétriquement démontrées.
** Les transferts de la diaspora à l’étranger (remittances) ont aidé l’économie tunisienne à absorber les chocs de la révolution et de la transition économique. Les auteurs vont plus loin, et soutiennent que la diaspora tunisienne a renforcé sensiblement et de manière statistiquement significative ses transferts en devises vers le pays, depuis 2011. Et cela se constate sans difficulté dans le graphique précédent (données du FMI).
Les auteurs soutiennent aussi que les émigrants et expatriés de la Tunisie envoient plus d’argents, même si cela est affecté par la variation du taux de change et de la dépréciation du dinar : «Tunisian migrants sent more money after the Revolution. Results also prove that remittances are affected by exchange rate. The depreciation of the TND may encourage migrants to visit their home country. Depreciation of exchange rate leads to higher remittances. For example, ceteris paribus, a depreciation in exchange rate of 1% is associated with an increase of remittances of 2.55%…» (p.99).
Force est de constater que la dévaluation du dinar a eu aussi des impacts sur l’accélération des transferts en devises vers le pays. Le tout pour profiter d’un «pouvoir d’achat» subitement consolidé, mais aussi pour venir en aide à la famille d’origine pas mal prise au dépourvu par une inflation galopante et un chômage endémique.
** Deuxièmement, malgré la distance géographique, les émigrants et expatriés tunisiens maintiennent des liens économiques étroits avec leur pays d’origine. Cela se reflète en partie dans l’augmentation du volume des envois de fonds, qui constituent une source de revenus essentielle pour de nombreuses familles tunisiennes, surtout dans les régions et quartiers déshérités. Grâce à ces transferts grandissants, les migrants et expatriés ont ainsi permis de mettre sur pied des projets productifs, qui ont aidé à améliorer le niveau de vie moyen des leurs, soulager la pression du chômage, et surtout lancer des initiatives créatrices d’emplois, surtout dans leurs régions d’origine, souvent très déshéritées.
Allant plus loin, les résultats économétriques à ce sujet démontrent une relation d’influence positive et statistiquement significative entre le volume des transferts d’argent envoyés et la croissance économique de la Tunisie. Cela veut dire que plus la diaspora transfère des montants en devises, plus l’économie génère des effets de croissance et de création de valeurs.
Mais, loin d’être naïfs, les auteurs reconnaissent que la force d’impact liant les transferts d’argents et la croissance économique en Tunisie est tributaire de la qualité et de la vitalité des institutions démocratiques qui sont, malgré tout en émergence en Tunisie. Le tout pour dire que le gouvernement doit prendre soin des modalités et les véhicules de transfert des revenus issus de la diaspora, pour éviter l’intrusion des forces malintentionnées et corrompues pouvant dissuader les émigrants et les décourager, comme ce fut le cas du temps des années de braises du régime de Ben Ali (1987-2011).
Que dire au gouvernement et aux décideurs publics
Le premier message, issu de ces enseignements et données nouvelles, tient au fait que la diaspora tunisienne à l’étranger assume désormais un rôle majeur et grandissant en matière de rentrée de devises dans le pays. Ce n’est pas rien, annuellement la diaspora apporte au pays (selon les données 2016) plus de devises que le tourisme, les IDE et l’assistance internationale réunis.
Les décideurs publics, tout comme les élus, se doivent de prendre en compte cette nouvelle donne et la méditer, pour agir en conséquence.
Dans la même veine, les politiques publiques doivent s’ajuster pour réviser et moduler leurs instruments d’incitation et d’attraction de l’investissement étranger, de façon à mieux cibler les attentes et la capacité à payer de la diaspora tunisienne de l’étranger. Certes, la situation peut changer rapidement, mais en l’état les recettes en devises sont marquées par une recrudescence claire et confirmée des revenus en devises procurés par les émigrés et les expatriés.
L’autre enseignement est stratégique et a trait au vieillissement de la diaspora, et surtout au risque de voir leurs descendants (2e et 3e générations) rompre avec le pays des alleux. Si rien n’est fait, les liens économiques avec le pays d’origine et les transferts de fonds associés risquent de tarir rapidement, au grand regret de l’économie tunisienne et des régions concernées.
Enfin, le gouvernement de la coalition doit agir rapidement pour s’ajuster à la nouvelle donne, et concevoir des incitations et des leviers pour drainer davantage d’épargnes et de transferts en provenance de la diaspora tunisienne de l’étranger. Le tout pour sécuriser, pérenniser et optimiser ces transferts, et les mettre à l’abri des malversations et réseaux de corruptions sévissant encore à l’intérieur de l’administration publique tunisienne (police, douane, agences d’investissement, etc.).
Et à ce sujet, il n’y a pas que les transferts monétaires à considérer, plusieurs centaines d’expatriés experts internationalement reconnus, reconnaissent les investissements consentis par la Tunisie, pour leur formation, avant leur émigration, et plusieurs dizaines en Amérique du Nord sont disposés à aider aussi par le volontariat (travailler sans salaire), pour aider leur pays à repartir de plus belle.
* Analyste en économie politique.
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