La réhabilitation annoncée des lignes ferroviaires abandonnées de l’intérieur du pays est un pas dans le bon sens pour réduire les distances et faire gagner du temps et de l’argent.
Par Khémaies Krimi
En Tunisie, nous avons pris l’habitude de ne s’intéresser au transport ferroviaire qu’en deux occasions : lorsqu’un train déraille ou percute des personnes et des véhicules à des passages à niveau avec, comme conséquences dramatiques, des décès, des blessés et des pertes matérielles énormes; et lorsque les responsables en charge du dossier évoquent, dans le cadre de leur action de propagande, les perspectives de modernisation de ce mode de transport en ne citant que des projets phares implantés sur le littoral.
Parmi ces projets figurent le fameux Réseau ferroviaire rapide (RFR) du Grand-Tunis (80km), le réaménagement de la Ligne TGM (Tunis-Goulette-Marsa), l’électrification de la ligne ferroviaire Tunis-Sousse (150km), le doublement de la voie sur la section Moknine-Mahdia (25 km), et de temps en temps… du projet d’un métro à Sfax (13,5km). Ce qui fait, en tout et pour tout, environ 270 kms.
Pourtant, la Tunisie compte, depuis 1956, date de son indépendance, 2.165 kms de rails installés, dont 1.991 kms de voies ferrées en fonction ou en état de fonctionner.
Le gouvernement décide de réhabiliter des lignes abandonnées
C’est seulement cette année, à l’occasion de la discussion en commission parlementaire du budget du ministère du Transport pour l’exercice 2018, le lundi 20 novembre 2017, que le nouveau ministre du Transport, Radhouane Ayara, a annoncé la bonne nouvelle d’allouer, pour la première fois, des fonds budgétaires pour entamer la réhabilitation et la rénovation 600 kms de lignes ferroviaires localisées pour la plupart dans l’arrière-pays.
Ces lignes ont été coupées et abandonnées, pour la plupart, depuis 1969, suite aux terribles inondations qui avaient ravagé le pays à cette époque. Les travaux consisteront essentiellement à reconstruire des ouvrages d’art (ponts) emportés par les crues des oueds.
Nous ne pouvons nous interdire ici de nous interroger sur le degré de compétence et de patriotisme des gouvernements qui se sont succédé depuis, et qui s’étaient permis le luxe de négliger la réhabilitation des lignes ferroviaires coupées et de se priver des services du rail.
Ce même rail qui est considéré, partout dans le monde, comme le transport le plus rapide, le plus sûr, le plus économique et le plus respectueux de l’environnement. Il présente également l’avantage d’être le meilleur mode de transport pour désenclaver au moindre coût l’ouest du pays.
Qu’à cela ne tienne. Aujourd’hui, le plus important c’est que le gouvernement en place a pris conscience de la nécessité de réhabiliter le rail à l’intérieur du pays et de s’en occuper sérieusement en mettant la main à la poche, et ce, au grand bonheur des amateurs du rail et des touristes tunisiens qui veulent découvrir le pays.
Concrètement, Radhouane Ayara a annoncé un financement budgétaire global de 27 millions de dinars tunisiens (MDT) dédié à la maintenance, à la réhabilitation et au renouvellement du réseau ferroviaire. Mieux, plusieurs autres fonds budgétaires vont être affectés au renforcement des correspondances entre trains et gares routières (3MDT) et à l’équipement de 50 passages à niveau d’appareils de sécurité (5,5 MDT).
Plus de 600 kms seront remis, à terme, en service
Quant aux lignes qui seront réhabilitées, il s’agit de la mise à niveau de la ligne Tunis-Kasserine (315 kms), le rétablissement de la ligne Kasserine-Kairouan-Sousse (195 kms), et de la liaison Gabès-Médenine (75 kms). Au total, plus de 600 kms environ à réhabiliter, ce qui est loin d’être négligeable.
La vieille gare abandonnée de Sejnane.
Mention spéciale pour la ligne abandonnée Mateur-Sejnane-Tabarka. Le processus de réhabilitation de cette ligne semble prendre un rythme accéléré. Le jour même où le ministre du Transport a annoncé l’allocation d’une enveloppe budgétaire pour la rénovation, mise à niveau et réhabilitation des lignes ferroviaires précitées, un accord concernant cette ligne a été signé, à Tunis, par le Pdg de la SNCFT, Anis Oueslati, et le gouverneur de Bizerte, Mohamed Gouider. Objectif : entamer, illico presto, les études techniques pour la réhabilitation de cette ligne et lancer un appel d’offres avant la fin de ce mois.
Pour mémoire, une partie du tronçon ferroviaire reliant Sejnane-Tabarka a été submergée par les eaux du barrage Sidi El Barrak.
Le concepteur de ce plan d’eau n’avait pas jugé utile de prévoir, lors de sa conception, une déviation de la ligne ferroviaire au niveau du barrage dans la localité de Ouechtata. Ce qui disait long sur la mentalité anti-ferroviaire qui prévalait au temps de Ben Ali et sur les accointances des concepteurs centraux de projets d’infrastructure avec des mafieux locaux à l’affût. Pour preuve, dès la mise en eau du barrage et la disparition du tronçon ferroviaire et l’isolement de Tabarka, des promoteurs locaux ont offert leurs services à l’Etat pour l’exploitation du tronçon qui lie Tabarka à Ouechtata par un train touristique: le «lézard vert». Heureusement, avec cette décision de réhabiliter la ligne, ce cauchemar est, aujourd’hui, éloigné et les Tabarkinis vont retrouver leur train.
A l’origine une dame qui croit au rail
Au-delà de cette bonne nouvelle de réhabiliter les lignes abandonnées de l’intérieur du pays, il faut reconnaître que le mérite revient au coup de pouce d’une dame qui a toujours cru au ferroviaire et à ses moult avantages pour le pays, en l’occurrence, Sarra Rejeb, ex-Pdg de la SNCFT et actuelle secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport.
L’empreinte de cette experte en matière de transport multimodal est manifeste. Au temps où elle était à la tête de Tunisair et de la SNCFT, elle a constamment appelé à la création de lignes ferroviaires rapides entre les aéroports du pays et les stations touristiques. Pour elle, il est plus rentable pour le pays de développer le ferroviaire en complément de la logistique aéroportuaire que de construire de nouveaux aéroports d’autant plus que la Tunisie est actuellement en sur-capacité aéroportuaire. La règle étant selon elle: «Les distances ne se mesurent pas en nombre de kilomètres mais en nombre de minutes». On ne peut pas mieux dire.
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