‘‘Legacy of violence, a history of the british empire”: le fardeau meurtrier de l’homme blanc

Au regard de l’Histoire, le respect des droits de l’Homme n’est pas naturellement inhérent à la civilisation occidentale ni au régime politique démocratique anglo-saxon qui en aurait fait cadeau au monde et à ses colonies ainsi qu’on veut maintenant le faire croire. Il a fallu toutes les horribles violences dont ont été victimes depuis le XVIIIe siècle les colonisés de l’Empire britannique pour que la question des droits de l’Homme devienne centrale au point de mobiliser aujourd’hui les étudiants aux quatre coins du monde, protestant contre les massacres perpétrés par l’armée israélienne contre les civils palestiniens à Gaza. L’Etat d’Israël n’est d’ailleurs que la réplique anachronique de l’ordre colonial occidental avec toute la panoplie de la violence qui lui y est inhérente.

Dr Mounir Hanablia *  

L’idéal des droits de l’Homme contemporains est-il intrinsèquement lié à l’Histoire de l’Empire Britannique?

C’est ce que cet ouvrage fondamental pour la compréhension du monde contemporain démontre, mais pas dans le sens apologétique du christianisme et de la mission civilisatrice de la race anglaise que certains ont qualifiée de fardeau de l’Homme Blanc. Il a fallu toutes les horribles violences dont ont été victimes depuis le XVIIIe siècle  les colonisés de l’Empire, la guerre des Boers en Afrique du Sud, le mouvement indépendantiste irlandais, la seconde guerre mondiale, la lutte de l’indépendance en Inde, la création de l’Onu, la guerre de Palestine, la guerre froide, l’insurrection communiste en Malaisie et la lutte de libération au Kenya et à Chypre, tous les mouvements d’opinion en Europe et en Angleterre initiés par les intellectuels noirs anglophones Antillais panafricanistes, en particulier à partir de 1930 Georges Padmore ou William Edward Dubois, en faveur de la décolonisation, ainsi que le mouvement des Droits civiques en Amérique, les procès intentés contre l’Etat Britannique par quelques unes des victimes de ses tortionnaires, en 2011, pour que la question des droits de l’Homme devienne centrale au point de mobiliser à travers le nouvel empire global dominé par les Etats-Unis, les étudiants aux quatre coins du monde, protestant contre les massacres perpétrés par l’armée israélienne contre les civils palestiniens à Gaza.

Naturellement cela s’est accompagné par le développement progressif de la technique au service de l’information avec le télégraphe et la presse écrite, la radio et la télévision, enfin l’internet, tous susceptibles d’influer sur l’opinion publique mondiale dans un sens auquel les hommes politiques, soucieux évidemment de réélection, ne pouvaient pas rester indifférents.

C’est la conjonction de plusieurs de ces facteurs qui a bousculé l’ordre impérial établi sur la couleur de la peau avec en haut de l’échelle d’abord les seuls Anglais, qui pressés par les contraintes inhérentes à l’administration d’un espace couvrant le quart du monde, ont associé les autres blancs de l’empire, Afrikaners, Australiens, Néozélandais, à l’instigation de l’ancien gouverneur du Cap Milner, à la gestion de l’Empire.

Spécialistes de la répression et escadrons de la mort

De cette nouvelle classification, prétendant constituer un patriotisme impérial britannique, les Irlandais, considérés comme des sauvages impropres à la civilisation, malgré la couleur de leur peau, avaient été exclus. Et dans les territoires administrés, les Anglais s’étaient retrouvés en haut de l’échelle sociale détenteurs des richesses et de la force armée pour les conserver, et tous ceux qui parmi les «basanés» osaient s’opposer à l’expropriation de leurs biens et au travail forcé nécessaires à la marche de l’économie coloniale étaient accusés d’être des sauvages dénués de tout caractère humain, enfermés dans des camps de concentration que les Nazis n’avaient plus tard fait que reproduire, et souvent exterminés.

L’usage de la violence avait ainsi été intimement lié dès le début au fonctionnement de l’Empire Britannique. L’un des exemples les plus significatifs en avait été la révolte arabe en Palestine en 1936 contre l’immigration juive. Les Anglais qui avaient déjà acquis l’expérience des bombardements aériens contre les villages en Irak et à la frontière afghane dans les années 1920 y avaient envoyé tous les spécialistes de la répression, et même les escadrons de la mort, qui de l’Afrique du Sud à l’Irlande (les Black and Tan) en passant par l’Inde s’étaient fait des réputations établies de tortionnaires endurcis contre tous les colonisés qui étaient tombés entre leurs mains. L’un des plus célèbres avait été Ord Wingate,  sioniste convaincu qui avait introduit des juifs dans ses escadrons de la mort contre les villages arabes.

Aujourd’hui encore, les militaires israéliens longtemps après sa mort continuent de lui attribuer la paternité de la création de leur armée ainsi que de sa doctrine de combat, basée sur le terrorisme et l’extermination des civils, qui jusqu’à aujourd’hui est toujours mise en pratique. Mais il y avait eu aussi Bernard Montgomery, le futur héros de la bataille d’El-Alamein qui avait préalablement en Palestine chaussé les bottes d’un criminel de guerre.

En matière de violence impérialiste, Hitler n’avait rien inventé

Toujours est-il que lorsque la guerre contre les Nazis avait éclaté en 1939 les Anglais forçaient déjà l’admiration de leurs adversaires pour l’énergie déployée dans la répression des peuples conquis, non seulement par l’élimination des éléments jugés indésirables, mais aussi par le transfert des populations et leur enfermement dans des camps de concentration. En la matière, Hitler n’avait rien inventé.

Il fallait donc déjà une bonne dose de cynisme à Winston Churchill, le Premier ministre, pour déclarer que l’Angleterre face à l’Allemagne se battait pour la liberté contre l’esclavage. Churchill avait été celui-là même qui avait exonéré en 1919 son pays de toute responsabilité dans le massacre d’Amritsar perpétré sous le commandement du général anglais Dyer contre des civils désarmés, un acte selon lui isolé. Et face aux accusations de massacres ou de tortures perpétrés dans les colonies dont de temps à autre ils faisaient l’objet, les officiels anglais agissant en toute mauvaise foi avaient pris l’habitude tout comme le font de nos jours leurs disciples israéliens soit de nier les faits, soit de les mettre sur le compte de dysfonctionnements exceptionnels ne remettant nullement en question l’honneur ou le comportement civilisé de leur armée.

Naturellement, afin de changer cet état de choses, il avait fallu l’engagement américain dans la guerre faisant de la question des Droits de l’Homme soulevée par le président Franklin Roosevelt un préalable central ayant un but avoué, la mobilisation des peuples pour lutter contre les Nazis et les Japonais, et un autre passé sous silence, le démantèlement à la fin de la guerre de l’Empire Britannique, ou à tout le moins, l’ouverture de ses territoires au commerce américain.

Churchill, impérialiste et raciste avéré, ne l’entendait pas de cette oreille, mais ne pouvait contredire son puissant interlocuteur sans lequel l’Angleterre aurait été battue par les Nazis.

A  la fin de la guerre, ce pays ruiné s’était retrouvé dans l’obligation de rembourser ses dettes, une perspective envisageable uniquement grâce à l’exploitation économique de ses colonies.

Le début de la guerre froide avait néanmoins assuré  à l’Empire un sursis, les Américains ayant commencé à le considérer comme un instrument adéquat dans la lutte contre l’expansion du communisme, en particulier en Asie.

Cependant, les indépendances de l’Inde puis d’Israël, enfin la guerre contre l’insurrection communiste en Malaisie avaient convaincu les Anglais que l’occupation territoriale étant désormais trop coûteuse, le mieux était de s’assurer des associations à même de maintenir la préservation de leur prééminence économique tout en leur épargnant le coût sécuritaire et politique, et le meilleur cadre pour le réaliser leur avait paru être ce que l’on nommerait Commonwealth.

En dépit du fait que les peuples africains étaient considérés par leurs occupants comme arriérés et incapables de s’autogérer, cela avait donc assuré la naissance de plusieurs Etats indépendants tels le Kenya, le Ghana, le Nigeria, mais en contrepartie, l’immigration «de couleur», en provenance principalement des Antilles, vers le territoire proprement britannique s’en était trouvée accrue dans des proportions telles que la population d’accueil, sous l’égide des  principaux partis politiques, travaillistes et conservateurs, habituée à sa suprématie «naturelle» issue des blancs civilisateurs, n’était pas prête à concéder l’égalité juridique sur son propre sol. Certains politiciens populistes, tels Hénoch Powell, le précurseur de Nigel Farage, en feraient leur cheval de bataille.

Il importe peu que cet exceptionnalisme impérial se soit traduit par le Brexit. Après la liquidation territoriale de l’Empire Britannique, ce sentiment de la mission civilisatrice et du fardeau de l’Homme Blanc transformés en défense de la liberté et de la démocratie a été assumé par les Etats-Unis d’Amérique au point de les mener dans des guerres impérialistes au Vietnam, en Corée, en Irak, en Afghanistan, et peu s’en faut, en Ukraine et en Israël.

Israël, réplique anachronique de l’ordre colonial occidental

L’Etat d’Israël n’est que la réplique anachronique de l’ordre colonial qui avec toute la panoplie de la violence qui lui y est inhérente régnait lors du mandat anglais conféré par la Ligue des Nations en vue de la création d’un Etat juif et que, à ce titre, considéré comme un membre du Commonwealth anglo-saxon, il en bénéficie de la protection en dépit de sa politique meurtrière violant tous les principes des droits humains et tous les accords internationaux sur la protection des populations civiles.

Il importe de savoir que contrairement à ce que prétendent les thuriféraires de la juridiction britannique, l’Empire dès 1953 en les ratifiant a conditionné le respect des lois sur la protection des populations civiles en temps de guerre promu par la Convention  Européenne de Strasbourg, à l’absence de conflits «non internationaux»; autrement dit il s’est toujours situé en marge des lois de la guerre dès lors qu’il s’agissait de mener des opérations «de police» dans ses colonies.

La France, engluée dans la guerre d’Algérie, ne les reconnaîtra qu’en 1974.

Quant à Israël, il estime toujours ses propres lois suffisantes et le dispensant de ratifier toute autre convention internationale sur le sujet; la dernière décision de la Cour pénale internationale (CPI) a néanmoins révélé les limites de la stratégie déployée par ses dirigeants pour échapper aux conséquences pénales des violations répétées du droit international commises par leur armée.

Manipulation des mémoires et maintien de la loi du silence

Ainsi le respect des droits de l’Homme n’est pas naturellement inhérent à la civilisation occidentale ni au régime politique démocratique anglo-saxon qui en aurait fait cadeau au monde et à ses colonies ainsi qu’on veut maintenant le faire croire pour éliminer toute revendication sur un droit compensatoire à l’émigration des peuples anciennement colonisés. Le respect de la vie humaine a été à tel point éloigné des préoccupations des Britanniques qu’ils n’ont pas hésité à provoquer au Bengale en 1943 une énième famine qui a fait trois millions de victimes, dont personne ne parle plus aujourd’hui, afin que son armée en guerre puisse se ravitailler.

La question de la destruction par les autorités britanniques des archives coloniales ou du refus de les ouvrir sous prétexte d’un transfert de souveraineté au bénéfice du gouvernement issu de l’indépendance, avait déjà rebondi lors du procès précédemment cité des prisonniers Mau Mau, révélant les nouvelles complicités établies avec les gouvernements issus de la décolonisation dans la manipulation des mémoires et le maintien d’une autre loi, celle du silence. En matière de respect de la personne humaine, nul n’est prophète en son pays.     

* Médecin de libre pratique.

Legacy of Violence: A History of the British Empire’’, de Caroline Etkins, éd. Knopf, 29 mars 2022, 896 pages.

error: Contenu protégé !!