Début décembre 2017, des députés tunisiennes appellent à la criminalisation de la normalisation avec Israël.
La normalisation avec Israël est la seule voie susceptible de le forcer à revenir au droit international. La criminaliser est une absurdité diplomatique. Et pour cause…
Par Farhat Othman *
On sait que les sujets d’intérêt ne manquent pas en Tunisie où l’État de droit laisse à désirer avec la législation scélérate de la dictature et du protectorat, toujours en vigueur, brimant la société tunisienne sept ans après son coup du peuple.
Or, au lieu de s’en charger, nos députés préfèrent s’occuper de projets absurdes, qu’ils qualifient même de prioritaires, dont une absurdité juridique et diplomatique, n’ayant qu’un intérêt politicien. C’est le cas de ce serpent de mer qu’on nomme loi de criminalisation de la normalisation avec Israël.
En effet, il s’agit du parfait projet illogique, illustration ultime de l’usage politicien de la politique n’hésitant pas à se servir d’immoralité pour paraître morale, de l’illégalité pour sembler respecter la légalité, de l’injustice pour prétendre servir la justice et du non-sens pour donner l’illusion du bon sens.
L’illégalité contre la légalité
Ce qui est hallucinant, c’est que le principal syndicat du pays appuie les auteurs de ce projet irresponsable qui revient à agir contre le vrai intérêt des Palestiniens. En effet, l’UGTT est pour cette anomalie diplomatique qu’est la criminalisation. Il est vrai, on a déjà vu la centrale syndicale appeler à boycotter la venue en son pays, l’été dernier, du meilleur ambassadeur culturel de la Tunisie qu’est Michel Boujenah.
Aujourd’hui, au nom de la légalité, on use d’illégalité contre une légalité à laquelle on n’appelle pas moins.
Pourtant, respecter le droit international suppose déjà d’enlever à Israël le prétexte de l’absence de reconnaissance de son État par les Arabes et les musulmans. C’est donc bien servir la cause de Palestine que de ne plus persévérer dans la méconnaissance de la légalité internationale quant à la réalité de cet État. On ne peut se suffire du rejet de ce dernier de cette légalité, surtout qu’il la justifie déjà par notre refus initial à le reconnaître, un refus qui se renouvelle au nom des turpitudes de l’État colonisateur. Or, Pour désigner Israël en État colonisateur, défiant le droit qui lui a donné naissance, faut-il déjà lui reconnaître cette qualité ! Pourtant, on s’évertue à le qualifier d’entité !
On est donc en pleine confusion des valeurs, devenue coupable, car elle amène à sacrifier le droit de la Palestine à s’ériger en État souverain au nom de ce même droit. Comment criminaliser les agissements d’un État colon auquel on dénie cette réalité, faisant relever ses actes de l’irréalité? Et comment le faire contrairement aux premiers intéressés, les Palestiniens qui ont reconnu l’État d’Israël ? Une telle volonté de se montrer plus royaliste que le roi démontre bien la raison de la supposée défense de la cause palestinienne : de pures visées de politique intérieure.
N’est-il donc pas venu le moment d’en finir avec une telle stratégie inepte et mensongère? Car le peuple tunisien, s’il est pour la cause de Palestine, c’est plutôt pour une paix juste selon la légalité internationale, ce qui suppose la reconnaissance d’Israël. Il est bien temps que la Tunisie rompe avec une telle irresponsabilité politique et diplomatique en osant une normalisation complète avec le l’État d’Israël supposnt l’échange d’ambassadeurs. C’est cela qui servira véritablement et à terme la cause des Palestiniens.
L’immoralité contre la morale
Outre d’être cette injustice d’une légalité bafouée, la cause de Palestine est une cause morale. L’immoralité est d’abord celle d’Israël qui se targue du droit international consacrant son existence et son droit à la reconnaissance pour en abuser, refusant ses implications, notamment au droit — concomitant du sien — à l’État de Palestine d’exister dans les frontières de 1947. Mais l’immoralité est aussi de la part des pays arabes et musulmans invoquant ce droit tout en ne le respectant pas.
Car invoquer un droit qui prévoit l’existence de deux États également souverains commande de reconnaître la souveraineté des deux, surtout si celui qu’on ne veut pas reconnaître se targue d’un tel refus de reconnaissance pour se soustraire à ses obligations légales. Or, il est, de plus, le plus fort aujourd’hui, ajoutant à la force du droit bafoué par ses adversaires celle du plus fou qui tire profit des turpitudes d’autrui pour en reproduire de plus turpides. Tout cela au nom du droit bafoué, en usant pour se renforcer grâce à ceux qui le renient alors qu’il est leur seule planche de salut. Et c’est ainsi servir la stratégie du gouvernement actuel d’Israël.
Pourtant, il y bien des gens pour la paix en Israël même. Pourquoi les ignorer, assimilant le gouvernement à tout le pays? Assimile-t-on la Tunisie à ses dirigeants, passés ou même actuels ? Il nous faut arrêter d’être aussi manichéens que le gouvernement israélien qui renforce ses turpitudes par les nôtres. À nous de donner l’exemple éthique.
Une ambassade tunisienne à Tel-Aviv
L’exemplarité suppose que la Tunisie renoue avec la sagesse visionnaire de Bourguiba, osant mettre à exécution ses vues sur la Palestine, défrichant enfin un sentier passant vers la paix. Il faut bien que quelqu’un le fasse ! On ne peut s’y attendre ni de la part d’Israël ni de son soutien atteint de cécité que sont les États-Unis, qui s’amusent à jeter de l’huile sur le feu avec de folles initiatives comme leur dernière lubie sur Jérusalem. C’est aux plus lucides du côté arabe d’indiquer la voie à suivre; donc à notre pays.
Cela se ferait, d’abord, en retirant un projet de loi indigne d’une Tunisie qui a été dès le début pour une solution juste du drame palestinien, appelant à emprunter la voie de la justice qui est celle de la justesse en reconnaissant Israël et en appliquant le droit international de 1947. Certes, les Palestiniens ont bien fini par reconnaître Israël sans rien obtenir en contrepartie; ne serait-ce pas aussi du fait de l’opposition arabe et musulmane à les soutenir pour une paix des braves en agissant de même? Pour d’illusoires retombées politiciennes intérieures, ils se refusent à retirer à Israël le prétexte dont il use et abuse de non-reconnaissance par les Arabes de ce même droit auquel ils appellent.
Si le projet de criminalisation de la normalisation devait finir par être examiné en séance plénière, il serait judicieux que cela soit alors l’occasion pour y être définitivement enterré. Ce serait par un acte aussi courageux qu’éthique de la part du gouvernement qui consistera en l’annonce solennelle de suivre l’exemple des Palestiniens et d’établir des relations diplomatiques avec l’état hébreu sur la base de la légalité internationale de 1947. C’est bien le moyen le plus efficace en vue de déterrer une légalité qu’Israël s’évertue à enterrer définitivement.
Une ambassade à Tel-Aviv aura le mérite d’agir inlassablement pour le retour au droit bafoué tout en permettant à la diplomatie tunisienne de retrouver sa vocation d’être cette voix de justice et de justesse qu’elle n’est plus, montrant le chemin pour la paix dans le monde. Et elle ne peut le faire en Palestine qu’avec toutes les parties parfaitement égales en droit, y compris en entretenant des relations diplomatiques normalisées avec l’une des parties aujourd’hui ignorée.
Outre le fait que c’est inéluctable, allant dans le sens de l’histoire, une telle initiative se situerait dans le cadre de l’assainissement de la situation en Méditerranée où on pourrait appeler à un espace de démocratie supposant la libre circulation des ressortissants de ses démocraties; or la Tunisie en est une tout comme Israël. Ce qui implique le libre mouvement des Tunisiens dans tous les États membres de cet espace dont ceux de l’Union européenne et d’Israël. Logiquement, cela devrait entraîner aussi l’établissement de relations aériennes directes entre la Tunisie et Israël, à partir de Jerba, par exemple, dont on connaît l’importance pour les juifs; ce qui ne saurait qu’avoir des retombées bénéfiques sur le tourisme et sur l’économie du pays. Rappelons, à ce propos, que le Maroc possède déjà une telle liaison aérienne régulière.
L’hypothèse d’un seul État démocratique
Redevenue la voix pour une voie de sagesse, en donnant l’exemple, la diplomatie tunisienne pourrait alors agir avec efficacité pour une solution de rechange à celle des deux États qui semble devenue politiquement impossible du fait du poids des colons israéliens. Le réalisme politique impose, en effet, de prendre en considération les réticences compréhensibles de tout gouvernement israélien à se mettre sur le dos une telle force de frappe. Aussi, pourquoi ne pas envisager la solution alternative parfaitement juste consistant en la fusion des deux États prévus par le droit international en un seul dans une sorte de confédérations, et encore mieux une fédération ?
Ce serait résoudre tous les problèmes du coup, dont celui de Jérusalem. Ce serait même un défi majeur à relever pour les Israéliens qui se gaussent d’être la seule démocratie au Proche Orient et qui n’est qu’une démocratie au rabais. Leur État le serait, en effet, s’il arrête de se référer à la religion, n’étant plus celui des juifs, admettant non seulement la pluralité confessionnelle de la société, mais écartant aussi la religion du champ politique.
Or, le conflit de Palestine est par excellence politique et idéologique; aussi sa résolution ne peut advenir qu’avec le passage des structures obsolètes actuelles à une postdémocratie qui serait, en l’occurrence, manifestée par un seul État uni d’Israël et de Palestine, une sorte d’Israël-Palestine. C’est une piste à prospecter pour la paix, au-delà de l’utopie castratrice d’un faux principe de réalité. Avis aux justes de tous bords.
* Ancien diplomate, écrivain. So dernier ouvrage en arabe ‘‘Conquêtes tunisiennes’’ vient de paraître au éditions L’Or du Temps, à Tunis.
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