Tunisie : le double échec, du pouvoir et de l’opposition

L’opposition tunisienne, qui a toutes les conditions objectives de son côté pour mobiliser la rue contre le pouvoir en place, ne parvient pas à regagner la confiance des masses populaires. La fatigue démocratique et la crise économique n’expliquent pas tout. Une autocritique et des remises en question s’imposent.

Moktar Lamari *  

Alors que les instantes en charge des élections présidentielles limitent indûment la pluralité des candidats, et alors que les arrestations des dits opposants se comptent par dizaine, un regroupement d’associations a appelé depuis semaines à une «grande manifestation» pour dénoncer le «retour de l’autoritarisme» et mobiliser contre les élections présidentielles qui se tiendront dans moins de 4 semaines.**

Sur un pays qui compte presque 9 millions d’électeurs, et dans une agglomération qui compte plus de 2 millions d’habitants, seulement un millier de manifestants est descendu dans la rue pour décrier l’«autoritarisme». Une goutte dans l’océan, un coup de pied dans l’eau…

C’est sans aucun doute un gros camouflet pour les opposants, une preuve additionnelle que l’opposition tunisienne dans ses formations actuelles n’est plus crédible. Elle est tellement désorganisée, déchirée par ses divisions qu’elle ne peut plus mobiliser ses «membres».

Pis, c’est un constat échec, un désaveu cinglant, perçu comme un sauf-conduit, voire un quitus pour le président sortant Kaïs Saïed.

Comment expliquer ce camouflet ? Quelles leçons en tirer ? Et surtout comment redonner confiance aux Tunisiennes et Tunisiennes déçus par tous ces élites et toutes ces guerres de factions qui divisent l’opposition?

Fatigue démocratique

Trois raisons essentielles expliqueraient ce camouflet et ce désaveu pour l’opposition?

1- une certaine «fatigue démocratique» s’abat sur ces millions de Tunisiens qui ont manifesté en masse, qui ont subit les balles des snipers (jamais retrouvés) et qui ont permis de «dégager» et faire fuir, comme un voleur, le dictateur Ben Ali, en janvier 2011.

Tout ce beau monde qui a allumé la flamme du Printemps arabe, dans une dizaine de pays de la région , est aujourd’hui déçu, épuisé et déprimé par tout ce qu’il a vu venir comme élites politiques choisis par les islamistes venus d’ailleurs et des lobbyistes qui ont nommé les pires des pires au sein de l’appareil de l’Etat, plus de 900 ministres depuis 2011, une douzaine de gouvernements, pour mener le pays à sa faillite : surendettement, stagflation, chômage massif des jeunes et paupérisation d’une ampleur jamais vue auparavant en Tunisie.

La très faible participation à la manifestation d’avant-hier n’est qu’un résultat objectif, attendu et prévisible, pas seulement par la police.

Manque de crédibilité

2- Malgré les arrestations, malgré le conflit institutionnel entre l’Isie (autorité électorale) et le Tribunal administratif et malgré le bilan économique catastrophique des gouvernements de la mandature Kaïs Saïed, l’opinion publique préfère encore le régime de Kaïs Saïed à celui de Rached Ghannouchi, et de ceux qui ont navigué dans son sillage, tous ces ministres corrompus, larbins ou simplement girouettes.

Ceux qui se considèrent aujourd’hui dans l’opposition et ceux qui ont particulièrement appelé à la manifestation d’avant-hier, un vendredi 13 (sans superstition), doivent s’interroger sur leur capacité à mobiliser, sur leur crédibilité et sur leurs allégeances.

Ils doivent probablement tirer leur révérence et passer le flambeau à plus crédibles, à des moins magouilleurs. Un bilan doit être fait et des changements à la tête de ces opposants caviar, souvent corrompus ou salis par leur participation aux gouvernements et partis ayant gouverné sous la houlette des islamistes radicaux de Ghannouchi. La démocratie doit se faire constater, se pratiquer au jour le jour dans les rangs de l’opposition aussi. Il faut purger et vidanger dans leurs rangs pour donner l’exemple.

Déficit de confiance

3- Le problème le plus grave et le plus commun est celui de la perte de confiance. Les Tunisiens et les Tunisiennes ont perdu confiance dans leurs élites politiques, dans leurs médias et partis politiques. Une défiance totale, un discrédit d’une ampleur jamais atteinte colle désormais à la peau des dirigeants, au pouvoir comme en opposition. Ce déficit de confiance est ravageur pour la cohérence des politiques publiques. Il est néfaste pour les activités économiques qui requièrent de l’investissement et de la productivité du travail. Même la centrale syndicale n’a pas échappé à cette vague de défiance et de rejet par l’opinion publique, les forces vives et les honnêtes gens qui veulent travailler et améliorer leur niveau de vie par le travail et pas par la magouille.

Les intellectuels et les universitaires doivent aider l’opinion publique à comprendre ce déficit de confiance généralisé et qui couvre quasiment toutes les élites de l’opposition, y compris l’UGTT, le principal syndicat. Des conclusions doivent être tirées de ce camouflet essuyé par l’opposition, qui avait pourtant toutes les conditions objectives de son côté pour mobiliser la rue et mériter sa confiance.

* Universitaire, économiste.

* Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

Blog de l’auteur : Economics for Tunisia, E4T.

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