La «vérité effective» finit toujours par triompher, quelle que soit l’épaisseur des «vérités efficientes», c’est-à-dire des «mensonges acceptables par le plus grand nombre», où l’on croit pouvoir la noyer.
Monia Kallel *
Le roman de Philippe Claudel, ‘‘Crépuscule’’ (Stock. 2023) se déroule dans une petite ville aux confins d’un pays baptisé, l’Empire. Tous les personnages sont aux abois et se posent la même question : «On s’approchait du bord d’un abîme, c’était certain, mais lequel ?».
Chargé d’enquêter sur le meurtre du curé, le policier Nourio, qui rêvait d’avancement dans sa carrière (peu reluisante), se plie à ce qu’on appelle la «vérité efficiente». «J’en suis venu à la conclusion qu’est vrai ce qui est demandé et acceptable par le plus grand nombre.»
Et comme la majorité chrétienne demande et veut que le coupable soit un Musulman, l’ennemi de toujours, Nourio bâcle l’enquête, évite ou oublie de s’investir dans la recherche du meurtrier, qui s’avère être une petite meurtrière «presque nubile».
Mais, malgré l’implacable système de contrôle mis en place par l’Empire, malgré le silence malsain des autorités, le brouillard, cette ambiance crépusculaire, «entre chien et loup», la vérité finit par exploser. Et la justice par triompher, réglant les compte aux méchants et aux déloyaux.
Après le curé, ce «rigide ministre du divin» qui refusé la sépulture à la mère de Lémia, parce qu’elle s’est suicidée, vient le tour des adeptes de la «vérité efficiente», et à leur tête, l’opportuniste policier assassiné par son adjoint, pour avoir préféré le confort de l’opinion générale aux risques de son métier : le dévoilement de la «vérité effective».
Philippe Claudel signe un grand et beau roman allégorique, poétique, humoristique. Il y traite de multiples problématiques actuelles, la manipulation de l’information, la falsification de l’histoire, les tensions religieuses, les violences sexuelles… et examine l’âme humaine en descendant dans ses zones les plus sombres.
* Universitaire.