‘‘Par le fil je t’ai cousue’’ de Fawzia Zouari : récit qui dit beaucoup avec l’air de presque rien

Si l’on a envie de comprendre comment les femmes tunisiennes se sont libérées – au moins en partie – de la tradition dans les quelques décennies ayant suivi l’indépendance acquise en 1956, sans pour autant lire de lourds ouvrages d’histoire et de sociologie, il faut se plonger dans le nouveau récit de Fawzia Zouari.

Par Sophie Bessis *

La femme mûre, libre, éclatante, qui a écrit ce livre commence par y raconter comment une mère qui ne plaisante pas avec les interdits et tient à protéger la virginité de sa fille lui fait subir un rituel de fermeture symbolique de l’hymen avant de l’envoyer au lycée de la ville, enfer de danger et de perdition. Mais elle y va, au lycée, la petite bonne élève, contrairement à ses sœurs aînées que l’on a retirées précocement de l’école, estimant qu’elles en savaient assez pour être mariées. Elle a la chance d’être la plus jeune et de pouvoir ainsi bénéficier des mesures prises par le premier chef de l’Etat tunisien, Habib Bourguiba, pour desserrer le carcan des coutumes légitimées par la religion, toutes deux veillant jalousement à ce que rien ne bouge.

La pureté supposée du groupe social ou familial

Dans ce village du nord-ouest du pays on n’aime pas les changements, ni les étrangers, ni les juifs, ni tout ce qui pourrait toucher à la pureté supposée du groupe social ou familial. Et le fait d’appartenir à une famille de notables comme celle de Fawzia n’y change rien.

Il y a les gardiens et les gardiennes, comme cette mère redoutable, dragon protecteur, qui veillent au grain pour mettre un terme à toute velléité de liberté. Ce mot terrible est exclu de leur vocabulaire. Mais il y a les autres, des oncles, des tantes, des cousins qui veulent devenir «modernes», vivre comme ils veulent, faire des mariages d’amour – quelle idée ! – et qui entament peu à peu la carapace de la contrainte sociale faisant jusque là tenir toute une société figée dans son immobilisme. Et puis il y a la ville, la capitale d’où l’on revient en racontant que tout y semble permis.

Peut-on se libérer aisément du poids de traditions ?

A supposer que le contexte s’y prête, comme dans la Tunisie des années 1960-70, peut-on toutefois se libérer aisément du poids de traditions transmises par tous les canaux possibles, de la persuasion, de la peur du nouveau et de l’obligation ?

Avec une finesse mêlant à la fois audace et pudeur, Fawzia Zouari raconte comment s’intériorise la contrainte, comment le corps et l’esprit mettent un temps infini à s’en libérer, et jamais complètement. Ainsi, en remontant dans l’enfance, cette enfance qui toujours revient, elle nous donne à voir les arcanes, les failles, les contradictions de toute une société, à la fois figée et en mouvement, où tout vacille sans que parfois rien ne bouge.

Ce livre acerbe mais tendre, plein d’humour allant parfois jusqu’au cocasse mais avec quelques traces de triste lucidité se lit d’un trait, avec le plaisir que procure une belle écriture et l’intérêt pour un récit qui dit beaucoup avec l’air de presque rien.

* Journaliste et écrivaine.

Fawzia Zouari, ‘‘Par le fil je t’ai cousue’’. Paris, Plon 2022.

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