L’utilisation des drones dans les guerres asymétriques, par les Etats-Unis et Israël, a abouti à une spirale sans fin d’une méthode de combat relativement peu coûteuse par rapport aux avions, qui préserve certes les vies des soldats, mais qui renforce l’hostilité du monde, justifiant à son tour plus de surveillance, plus de frappes, plus de morts et de haine, dans une guerre qui ne finit jamais.
Par Dr Mounir Hanablia *
Les drones sont ces objets télécommandés dont la finalité première a été à l’origine de permettre aux pays dotés de la supériorité scientifique et technique de projeter leur puissance par voie aérienne dans les pays au sein desquels leur souveraineté ne s’exerce juridiquement pas, sans exposer les vies de leurs soldats, soit en collectant des renseignements, soit en se livrant à des bombardements contre des cibles jugées menaçantes.
Voir sans être vu
Les drones sont dans les faits la traduction du vieux rêve grec d’égaler la puissance des Dieux Pégase aux cent yeux et Zeus le seigneur de la foudre, permettant de voir sans être vu et d’actionner le feu du ciel contre les ennemis.
Israël est le premier pays à avoir mis au point des drones utilisés dans des missions de reconnaissance lors des guerres de 1973 et de 1982, et par la suite dans des bombardements contre le Hezbollah et les activistes palestiniens, et en ce sens, il reflètent une vision coloniale, celle d’un pays aux ressources humaines limitées, assiégé mais conscient de sa supériorité par rapport à ses voisins et nourrissant à l’égard de leurs populations un profond mépris au point de se livrer à des représailles collectives à leurs dépens.
C’est, cependant, durant ce qu’on appelé la guerre contre le terrorisme que les Etats-Unis d’Amérique sous le présidence de Barack Obama se sont livrés en usant de cet outil à une véritable guerre non déclarée au Pakistan, en Somalie, au Yémen, contre les cibles définies comme jihadistes. Mais rapidement l’usage des drones a suscité des critiques sur le plan politique et juridique parce que d’une part il résolvait bien le problème de la prison de Guantanamo, grâce à des exécutions extra judiciaires hors le cadre légal approuvées par le président, et que d’autre part, la sélection des cibles qui obéit à des programmes informatiques pré- établis n’est pas spécifique, elle ne se base que sur un ensemble de données rendant probable leur implication dans les activités considérées comme hostiles, et elle ne fait pas la part entre la cible et son environnement, au point d’entraîner de nombreuses pertes dans les populations civiles de ces pays, qui n’ont rien à voir avec les militants jihadistes. Et pour finir ces bombardements ont même été accusés d’être contre-productifs en suscitant dans les populations victimes des frappes aériennes et au dessus desquelles le bruit incessant des appareils entretient jour et nuit la menace de nouvelles attaques imprévisibles, un puissant ressentiment anti-américain.
Plus de surveillance, plus de frappes, plus de morts
On aboutit ainsi à cette spirale sans fin issue d’une méthode de combat relativement peu coûteuse par rapport aux avions qui préserve certes les vies des soldats, mais qui renforce l’hostilité du monde, justifiant à son tour plus de surveillance, plus de frappes, plus de morts et de haine, dans une guerre qui ne finit jamais.
Le Hezbollah libanais a par ailleurs démontré son aptitude à prendre le contrôle des drones israéliens, jusqu’à surveiller ce qu’ils pouvaient révéler, en en établissant ainsi les faiblesses.
Sur un autre plan, il n’y a lieu d’évoquer les problèmes psychopathologiques des pilotes de ces objets confortablement installés devant leurs écrans et qui regagnent leurs domiciles une fois leur journée finie comme de simples fonctionnaires après avoir assumé leurs fonctions létales, que dans la mesure où le facteur humain constitue un puissant contre pouvoir à la volonté politique.
Le drone n’est en réalité qu’un maillon de plus vers le chemin de l’automatisation de la chaîne de commandement supprimant toute possibilité d’insubordination contre les décisions du pouvoir politique.
La prochaine étape sera fatalement celle du robot autonome, programmé pour être juge, policier, et exécuteur, contre tous ceux que l’autorité stigmatisera, autant à l’intérieur, qu’à l’extérieur de ses frontières.
* Médecin de libre pratique.
«Drone Theory», de Grégoire Chamayou, traduit en anglais par Janet Lloyd, éd. Hamish Hamilton, 2015.
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