Ayant longtemps bénéficié d’une impunité de fait, assurée par une justice aux ordres qui laissait pourrir les dossiers dans les méandres des «palais de l’injustice», pour emprunter l’expression du président de la république Kaïs Saïed, les dirigeants du parti islamiste Ennahdha ont presque fini par penser qu’ils étaient intouchables. Cela est-il en train de changer ? Il ne faut surtout pas crier victoire trop vite et vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
Par Imed Bahri
Certes, Rached Ghannouchi et 32 autres cadres du mouvement islamiste ont été officiellement accusées de blanchiment d’argent et d’appartenance à une organisation terroriste, et ce suite à une série de plaintes déposées depuis plusieurs années par le comité de défense des deux dirigeants de gauche, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, assassinés en 2013 par des extrémistes religieux appartenant à la nébuleuse islamiste.
L’heure de vérité pour la justice
Mais entre l’acte d’accusation prononcé hier, mardi 28 juin 2022, par le premier juge d’instruction de la division judiciaire de lutte contre le terrorisme, et le verdict final qui, on l’imagine, prendra encore quelques années, beaucoup d’eau coulera sous les ponts, et la politique avec tous ses aléas pourrait continuer à peser sur le travail des juges, lesquels, en Tunisie, sont loin d’être de valeureux chevaliers blancs.
Il faut donc y aller molo-molo et attendre que les accusations soient étayées par des preuves matérielles tangibles et que toutes les parties concernées, notamment les autorités financières, acceptent de fournir les éléments nécessaires dont la justice aura besoin à cet effet.
Il faut rappeler à cet effet que les médias, y compris Kapitalis, ont souvent signalé aux autorités, au cours des dix dernières années, des mouvements financiers suspects qui ont transité par des banques tunisiennes et qui sont allés financer des activités associatives, caritatives et politiques douteuses. Beaucoup de parties tunisiennes, y compris des partis politiques, ont fait leur miel de ces fonds qui alimentaient des réseaux parallèles, sans que les autorités, dépassées, laxistes ou complices, ne bouge le petit doigt.
Un loyalisme de mauvais aloi
Il faut dire que le loyalisme de mauvais aloi a souvent inspiré l’action des hauts responsables tunisiens, qui préfèrent faire semblant de n’en rien savoir à chaque fois que de lourds soupçons pèsent sur de hauts dirigeants politiques au pouvoir. Et rien n’indique que cette humanité-là va changer d’un jour au lendemain, la lâcheté étant la chose au monde la mieux partagée… en Tunisie.
Tout cela pour dire aux anti-islamistes de tous bords, qui aiment faire feu de tout bois et dont les commentaires vengeurs fleurissent depuis quelques jours sur les réseaux sociaux : calmez-vous et attendez la suite des événements, d’autant que la crise actuelle de la justice, avec une grève des tribunaux qui se poursuit depuis bientôt quatre semaines, ne présage rien de bon.
Quand on sait que beaucoup de juges grévistes ont beaucoup de choses à se reprocher, et notamment le sort qu’ils ont réservé à certains dossiers brûlants, et que la résistance que le corps judiciaire oppose à toute tentative de réforme émanant du pouvoir exécutif, on doit savoir raison garder, tout en formant l’espoir que quelques juges honnêtes et intègres se décident enfin, par acquit de conscience, de redorer le blason de leur profession, ternie par des décennies de népotisme et de corruption, qu’ils y fassent enfin le ménage et qu’ils se décident enfin d’emboîter le pas à leurs collègues italiens qui ont lancé la guerre aux réseaux politico-mafieux dans les années 1990 du siècle dernier avec le succès que l’on sait.
Une opération Mani Puliti à la Tunisienne
En effet, seule une opération Mani Pulite à la Tunisienne pourra aider à assainir le pays des réseaux politico-mafieux, à mettre en place les conditions d’une transition démocratique digne de ce nom et d’une croissance économique durable. Cependant, et c’est là le hic, les dirigeants d’Ennahdha, qui ont réussi, au cours des dix dernières années, à infiltrer la justice et à mettre à leur service certains piliers de l’ordre judiciaire, comptent sur la loyauté de leurs larbins pour empêcher cette salutaire mutation dont la Tunisie a besoin pour se relancer.
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