Le secteur de l’énergie est actuellement sinistré en Tunisie. Pour preuve, le département ministériel chargé de le gérer a été supprimé et ses principaux responsables limogés, le 31 août 2018, par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, pour mauvaise gestion et présomption de corruption.
Par Khémaies Krimi
Cette défiance vis-à-vis de ce secteur a atteint son paroxysme lors de l’examen, au parlement, de la loi de finances 2019. Un article instituant une réduction significative des droits de douane de 30 à 20% et de la TVA au profit des importateurs de panneaux photovoltaïques a provoqué une vive protestation de l’opposition. Cette dernière, qui a perçu dans cet article l’empreinte du lobby des importateurs et de ses relais au parlement, n’est certes pas parvenue à faire annuler l’article mais elle a pu attirer l’attention sur la concurrence déloyale – générée par le dumping social qui prévaut dans les pays exportateurs (Chine…) – que pourrait générer une telle mesure sur la production locale de ces panneaux.
Une rétrospective pour mieux connaître le secteur
C’est dans ce contexte défavorable marqué par l’absence de responsabilité et de redevabilité administratives qu’un séminaire sur «la gouvernance du secteur tunisien de l’énergie» s’est tenue, le 14 décembre 2018, à Tunis, à l’initiative de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), la centrale patronale, en partenariat avec la fondation allemande Konrad Adenauer Stiftung (KAS).
Point d’orgue de cette manifestation, la remise aux participants, en avant première, d’un exemplaire du livre ‘‘Rétrospective du secteur de l’Energie’’. Cet ouvrage d’excellente facture est une contribution de professionnels indépendants regroupés au sein de l’Association tunisienne des techniciens du pétrole et du gaz (ATPG) à une meilleure connaissance des activités du secteur. Cette rétrospective couvre, en douze chapitres, la plupart des activités du secteur tunisien de l’énergie : hydrocarbures, électricité, maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables. L’ouvrage est truffé de précieuses informations pointues sur le secteur : données statistiques, analyses conjoncturelles, textes juridiques et contractuels…
Quant aux travaux du séminaire, ils ont été marqués par trois communications suivies d’un débat. La première a été faite par Holger Dix, le représentant de la KAS sur les multiples avantages que l’Allemagne a pu tirer de sa migration vers les énergies vertes.
La seconde sur «la transition énergétique» a été faite par Ali Kanzari, président de la chambre photovoltaïque relevant de l’Utica, tandis que la troisième sur «la gouvernance du secteur des hydrocarbures» a été présentée par Mustapha El Haddad, consultant indépendant en stratégie et politique énergétiques.
Quatre nouveautés majeures
Par-delà l’exhaustivité et la pertinence de la littérature proposée par les conférenciers et disponibles sur Internet, quatre informations majeures méritent, à notre avis, d’être retenues.
La première consiste en l’urgence de migrer dans les meilleurs délais vers les énergies vertes en prévision des changements climatiques et de leurs conséquences désastreuses. D’où la nécessité d’une volonté politique clairement affirmée dans le cadre d’une vision et de stratégies impliquant la formation des ressources humaines, l’industrialisation locale, la maintenance (service après vente…) et la commercialisation (exportation de l’électricité produite à partir des énergies vertes vers l’Europe…).
La seconde a trait à la mise à nu, pour la énième fois, de la non-crédibilité et du maquillage des chiffres et statistiques relatives au secteur énergétique en Tunisie.
Intervenant dans le débat, en sa qualité d’ancien Pdg de l’Agence nationale de maîtrise de l’énergie (ANME), Kais Daly a révélé que la part des énergies vertes dans le consommation globale d’énergie n’est pas de 3%, comme le prétendent les statistiques officielles, mais plutôt de 13 à 15%, si on prend en considération la part du bois qui est une énergie renouvelable utilisé dans le chauffage et la cuisson, particulièrement dans le monde rural (fours domestiques, charbon…).
Ainsi, compte tenu de cette nouvelle donne et des projections des productions programmées pour le futur, la part des énergies vertes dans la consommation totale d’énergie serait de 25% en 2020 et de 35 à 40% d’ici 2030.
La troisième information est fournie par Mustapha El Haddad. Tout en déplorant l’absence de communication sur le secteur de l’énergie depuis des décennies, cet expert de grande notoriété a estimé nécessaire, pour restaurer la confiance dans le secteur et de rassurer toutes les parties, d’engager, urgemment, un audit international sur le potentiel énergétique en Tunisie.
Last and not least, la quatrième information a été donnée par Ali Kanzari. Tout en dénonçant la forte taxation douanière à l’import des équipements des énergies vertes, ce dernier a révélé que les gros investisseurs étrangers dans les énergies renouvelables (500 mégawatts, 1000 mégawatts et plus) ne sont pas concernés par cette sur-taxation. Ce qui garantit, selon lui, la réalisation dans les délais des grands projets programmés pour 2020.
Au final, on peut avancer que ce séminaire a tenu toutes ses promesses d’information et de vulgarisation ne serait-ce que par l’excellente qualité des conférenciers, des participants au débat et de la documentation fournie.
Donnez votre avis