L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) vient d’arrêter une stratégie électorale aux fins d’influencer et de superviser les prochaines élections législatives et présidentielle prévues, respectivement, pour le 6 octobre et le 10 novembre 2019. Cela n’est pas du goût de tous les acteurs politique.
Par Khémaies Krimi
Officiellement, l’UGTT ne sera pas impliquée, directement, dans ces élections. Autrement dit, elle ne présentera pas des candidats pour ces élections. En revanche, elle fera tout, indirectement, aux plans politique et organisationnel, pour que ces élections se déroulent dans un climat de relative transparence. C’est, en tout cas, ce que prétendent ses dirigeants.
En plus clair, la centrale syndicale n’envisage pas de présenter ses propres listes électorales, mais elle soutiendra ses cadres souhaitant se porter candidats sur des listes de leurs affinités.
À l’origine de cet intérêt de l’UGTT pour les élections, il y a, dit-on, une crainte. Frustrés de ne pas avoir disposé, lors de l’Assemblée nationale constituante (2011-2014) et de la première législature de la Seconde République (2015-2019), de députés pour défendre leurs intérêts et ceux des travailleurs, les Ugétistes craignent la persistance de la crise multiforme dans laquelle se débat le pays depuis 2011 et dont ils estiment payer le plus lourd prix, en termes de hausse des prix et de baisse du pouvoir d’achat.
Il faut reconnaître, à ce sujet, que l’UGTT a constamment pointé du doigt le nomadisme des acteurs politiques entre les partis et les groupes parlementaires, attribuant ce phénomène à un manque d’engagement programmatique et de convictions personnelles. Elle a, également, toujours, stigmatisé l’absence de visions et d’alternatives pour avenir.
Un programme pour faire face efficacement à la crise
A cinq mois des échéances électorales, et au terme d’une conférence organisée sur le thème: «Le rôle de l’UGTT dans la réussite des prochaines élections et l’aboutissement de la transition démocratique», la centrale syndicale a élaboré une stratégie en cinq points visant à éviter au pays un remake du même scénario catastrophe.
Il s’agit d’abord d’inciter les adhérents de l’UGTT à s’inscrire sur les listes électorales et à participer massivement aux prochaines élections, et de mobiliser quelque 2000 ugétistes pour superviser la campagne électorale et le déroulement du scrutin.
Point d’orgue de la campagne, l’élaboration d’un programme socio-économique spécifique, mis au point par des économistes, des experts et des enseignants universitaires convaincus par les thèses de la centrale syndicale.
D’après l’UGTT, ce programme, qui sera fin prêt en juin prochain, devrait, non seulement sortir le pays de la crise, mais également engager son avenir sur plus de dix ans.
Selon nos informations, ce programme comporterait un scénario urgent à court terme pour redresser l’économie du pays, un autre à moyen terme avec des projections réalistes et pragmatiques et un troisième avec deux volets, l’un optimiste et l’autre catastrophiste.
Cette stratégie prévoit, aussi, une campagne pour orienter le débat politique dans le pays non pas sur la base de l’appartenance idéologique (islamiste-laïc, conservateur-progressiste, libéral-socialiste, etc.) mais sur celle de la qualité et de la faisabilité des programmes proposés.
À travers cette démarche, l’UGTT se positionne comme un juge-arbitre pour accorder aux partis des satisfecits ou leur opposer son veto.
Pour mener à bien cette mission, la centrale va mettre en place une plateforme comportant tous les programmes des partis politiques, classés par thèmes, de manière à aider les électeurs parmi à se faire une meilleure idée de ces programmes, leurs points communs ou leurs divergences et, surtout, ce qu’ils peuvent apporter aux travailleurs ou risquent de porter atteinte à leurs acquis.
L’UGTT compte, on l’a compris, utiliser ces programmes ainsi confrontés pour en identifier toute proposition qui servirait ses intérêts et négocier avec les partis retenus un éventuel partenariat électoral. Plus simplement, l’UGTT projette de persuader les partis qui partagent certaines de ses idées à parrainer ses propositions, demain, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
La stratégie ne serait pas appréciée par tout le monde
À la regarder de près, cette stratégie risque de chambouler les calculs des futurs candidats des partis politiques habitués, jusque-là, à acheter, parfois avec de l’argent sale, la conscience des pauvres gens. Ces mercenaires de la politique que la centrale syndicale qualifie de «khafafiche al-dhalam» (chauves souris) auront, cette fois-ci, d’énormes difficultés à manœuvrer à leur guise.
D’ailleurs, récemment, Noureddine Taboubi, secrétaire de l’UGTT a déploré, sur les ondes de Mosaïque FM, les récentes attaques électroniques dont cette stratégie électorale a, selon lui, fait l’objet. «La mobilisation par l’UGTT d’un million d’électeurs et d’observateurs ne peut que déranger», a-t-il lâché, en accusant, sans le nommer, un ex-ministre du gouvernement Chahed de mener, à partir de l’étranger, «une campagne de dénigrement contre l’UGTT payée en devises». Ambiance…
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