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Le destin contrarié de Hosni Moubarak

La dernière photo prise de lui sur son lit d’hôpital, fin 2019.

Entré dans l’histoire par la grande porte en assénant le premier coup décisif à l’aviation israélienne pendant la guerre de Ramadan 1973 (Kippour), Hosni Moubarak en est sorti par la plus petite des portes, couvert de l’opprobre de son peuple, avant de mourir quasiment dans l’oubli dans un banal hôpital militaire du Caire.

Par Hassen Zenati

Lorsqu’il accède à la présidence de la République en 1981, le général Hosni Moubarak est un miraculé. Assis à droite de son président Mohammed Anouar El-Sadate à la tribune du défilé militaire du 6 octobre, Moubarak est dans le viseur du lieutenant Islambouli, qui conduisait le commando du Jihad islamique chargé d’«exécuter» le chef de l’Etat. Il aurait pu le tuer le premier, mais, a-t-il témoigné au tribunal, il se ravisa en lui déclarant : «Ce n’est pas toi que je veux, mais ce chien», désignant du canon de son arme Anouar El-Sadate avant de l’abattre et de poursuivre son équipée meurtrière.

Le vice-président effacé vivait à l’ombre du «zaïm» flamboyant

Hosni Moubarak échappera à la tuerie, traumatisé à vie, avec quelques légères blessures au poignet. Quelques semaines plus tard, il est élu président de la République succédant à Anouar El-Sadate dans une sorte d’indifférence générale que l’assassinat tragique de ce dernier n’a même pas réussi à secouer.

Le brillant officier de l’armée de l’air.

Le peuple égyptien attendait un «héros» pour qu’il efface la double humiliation d’une guerre perdue dans les pires conditions en 1967, sous Gamal Abdel Nasser, et d’un traité de paix «honteux» signé avec Israël, sous la pression américaine, à l’issue d’une nouvelle confrontation, qui s’était soldée en 1973 par une demi-victoire des armées égyptiennes sur l’armée israélienne, en redorant partiellement le blason des combattants du Nil.

Chef de l’armée de l’air, le général Hosni Moubarak y avait grandement contribué en portant le premier coup en profondeur à l’aviation israélienne stationnée depuis 1967 dans le Sinaï. Une manœuvre audacieuse qui a permis au gros des troupes amassées sur la rive ouest du Canal de Suez de gagner du temps en franchissant la voie d’eau, avant d’avancer le plus loin qu’ils le pouvaient dans la péninsule occupée.

Le compromis militaro-diplomatique, négocié en secret par Anouar El-Sadate avec le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, devait sceller le sort des armes à l’avantage des Israéliens, à la grande fureur des généraux égyptiens, à l’instar du général Saad-Eddine Chazli, frustrés d’une victoire qu’ils sentaient à leur portée.

Les plus optimistes voyaient en Hosni Moubarak, auréolée de ses exploits militaires, le «chef» qui, faute de pouvoir déclarer une nouvelle guerre aux Israéliens, à laquelle s’opposeraient les Américains de toute façon, allait laver l’honneur de l’Egypte et de l’armée égyptienne en arrachant au moins à Tel-Aviv des concessions majeures en faveur des Palestiniens, laissés pour compte de la «réconciliation» israélo-égyptienne.

Moubarak et El-Sadate lors de la parade militaire du 6 octobre 1981.

Le vice-président effacé qui vivait à l’ombre du «zaïm» El-Sadate, mégalomaniaque, fantasque et flamboyant depuis 1975, devenu président en 1981, avec les coudées franches, commencera par prendre la posture d’un dirigeant intransigeant, en ignorant les invitations empressées de ses voisins de se rendre en Israël, en exigeant sans jamais faiblir le retour à son pays de Taba, une portion de territoire égyptien aux confins israéliens, confisquée par un promoteur hôtelier patronné par l’armée israélienne, en violation des accords de paix, ou en défendant âprement son bout de gras de l’aide civile et militaire américaine promise en échange de ces accords.

Tous les chemins mènent à Washington

Mais comme si le fardeau était trop lourd pour ses épaules pourtant carrées, le brillant étudiant de l’Académie militaire égyptienne, dont il sortit major de promotion en sciences de l’aviation, ne tardera pas à fléchir, en prônant ce qu’il appelait une politique du «juste milieu». Il voulait faire de l’Egypte non plus un acteur majeur au Proche-Orient, mais un «facilitateur», en multipliant les «médiations» notamment entre Israéliens et Palestiniens, soit directement, soit par le truchement des chefs des Moukhabarat (les renseignements). Le plus connu était le général Omar Souleiman, qui avait l’oreille de Washington. Il endossera alors la politique américaine notamment lors de la guerre contre l’Irak en 1991, en faisant participer l’armée égyptienne à l’opération «Tempête du désert» (Desert storm), menée, en principe, pour la libération du Koweït, mais qui ne tardera pas à révéler des objectifs plus larges sous la pression du Pentagone.

Pressé par une classe moyenne s’appuyant ouvertement sur Washington, qui n’a jamais pardonné à Gamal Abdel Nasser d’avoir nationalisé les terres féodales et l’industrie égyptienne, Hosni Moubarak se tourne désormais vers les affaires domestiques pour parachever la conversion de son pays au néo-libéralisme, entamé par Anouar El-Sadate après sa rupture fracassante avec l’URSS en fin de parcours, peu avant la guerre de 1973. L’économie égyptienne au bord du gouffre devait être redressée. Il comptait sur l’aide américaine et celle des pays du Golfe pour mener ses vastes plans de redressement. Mais ni l’une ni l’autre ne seront au rendez-vous. Malgré les encouragements verbaux qui lui seront prodigués par ces diverses capitales, ainsi que des capitales européennes, les aides sont dispensées au compte goutte en fonction des services rendus, alors que l’Egypte doit faire face aux besoins d’une population en croissance rapide qui s’enfonce chaque jour d’avantage dans la misère.

Alors que les clans s’organisent pour capter les rares subsides venus de l’extérieur, et qu’une camarilla libérale et autoritaire se forme autour de la Présidence, sous la direction du fils cadet du chef de l’Etat, Gamal Moubarak, le régime se raidit. La redoutable police de sûreté de l’Etat réprime à tout va.

L’opposition à l’assaut d’un régime gangrené par le népotisme

L’opposition, revenue d’un profond sommeil, s’active contre le pouvoir. Le mouvement Kefaya (Ça suffit), constitué de magistrats et d’avocats, occupe régulièrement le perron du Palais de justice pour dire son ras-le-bol. Les islamistes s’agitent. L’armée elle même se met à murmurer qu’elle ne veut pas de Gamal Moubarak comme successeur, alors que ce dernier venait de se faire élire à la tête du parti dominant, le Parti national démocratique (PND), et se préparait, sous le patronage de sa mère, Suzanne Moubarak, à entrer dans l’arène.

Devant le tribunal, avec ses deux fils, le 9 mai 2015.

La première alerte sérieuse est donnée d’Addis-Abeba en 1995, lorsque le cortège du chef de l’Etat échappe de justesse à un attentat. Suivent plusieurs vagues de violence, attribués pour la plupart à des extrémistes islamistes, qui veulent paralyser le tourisme, une des trois principales sources de revenus extérieurs du pays.

Dès 2004, le terrorisme s’installe dans le Sinaï provoquant, en riposte, une répression sans merci, d’un pouvoir aux abois. C’en est fini du rêve d’une «démocratie libérale» caressé un moment par Gamal Moubarak et ses acolytes, qui l’ont vendu à une classe moyenne crédule. «C’est trop peu et trop tard», entendait-on dans les allées du pouvoir.

Dans la rue c’est le début d’un grondement sourd, qui conduira bientôt aux manifestations montres de la Place Tahir – le cœur battant de l’Egypte politique depuis toujours. Après trente ans de pouvoir sans partage, Hosni Moubarak, lâché par l’armée, doit céder. Il ne sera pas le dernier Pharaon d’Egypte, tellement la tradition politique de ce pays est imprégnée de culture militaire à tous les niveaux, jusqu’aux gestes quotidiens les plus anodins. Le raïs déchu terminera sa vie errant de tribunal en hôpital jusqu’à sa fin ultime survenue mardi dans un hôpital militaire de deuxième classe au Caire.

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