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Tunisie : Face à la crise du Covid-19, l’aide publique aux entreprises doit être priorisée

Soutenus par leurs experts et leurs argumentaires, patronat, syndicat et société civile mettent, ces derniers jours, par le canal des médias, une forte pression sur le gouvernement Elyès Fakhfakh pour que l’Etat vienne en aide, en toute urgence, aux personnes morales et physiques impactées, de plein fouet, par le coronavirus (Covid-19).

Par Khémaies Krimi

Rassuré qu’il ne rendra pas compte de probables résultats négatifs, durant le premier exercice de son mandat, en raison des conséquences désastreuses de la pandémie du Covid-19 sur la situation générale dans le pays, le nouveau chef du gouvernement semble prendre tout son temps avant de répondre positivement ou négativement aux partenaires sociaux.

Elyès Fakhfakh, qui s’est, déjà, permis le grand luxe de na pas créer une cellule de crise et d’annoncer, unilatéralement, le 8 mars 2020, une révision à la baisse du taux de croissance pour 2020, soit 1% contre 2,7% prévu par la loi de finance 2020, a chargé ses ministres de contenir la fougue revendicative des demandeurs d’aide en organisant des réunions pour s’informer de leurs préoccupations et de leurs doléances.

C’est dans cet esprit qu’une cellule d’écoute mixte a été créée, le 16 mars, entre le ministère des Finances et la centrale patronale, et ce, pour appuyer les entreprises en difficulté. Mais, aucune mesure concrète n’a été prise.

Dans les médias, les experts de structures d’appui à l’entrepreneuriat (Conect, CTFCI, Utica, Aject…) mais également des chroniqueurs acquis à la cause des hommes d’affaires ont tiré des boulets rouges sur le gouvernement Fakhafakh, comme on tire, très courageusement, sur une ambulance, car tous savent l’état catastrophique des finances publiques.

Les propositions des entreprises en difficulté

Les chroniqueurs et les experts ont reproché au nouveau chef de gouvernement de ne pas prendre des mesures d’urgence pour soutenir les entreprises impactées par le Covid-19, comme s’il n’y a pas plus urgent pour le locataire du palais de la Kasbah: protéger la vie des citoyens, les potentiels clients de ces entreprises. Ces dernières étant, notamment, celles qui opèrent, particulièrement, dans le tourisme, le transport aérien et maritime, l’artisanat, l’industrie exportatrice, l’enseignement supérieur privé…

Ces experts, souvent agressifs et alarmistes, estiment que si l’Etat ne vient pas «tout de suite» en aide aux entreprises impactées, comme cela a été fait dans d’autres pays affectés par le Covid-19 (France, Allemagne, Chine, Etats-Unis, Italie…), la Tunisie risque de perdre de manière irrémédiable d’importants pans de l’économie du pays, et par conséquent, des centaines de milliers d’emplois. Certes, mais la Tunisie n’est ni la France, ni l’Allemagne, ni la Chine, ni les Etats-Unis, ni l’Italie, ni même le Maroc ou l’Egypte, pays comparables, mais dont les finances publiques sont en bien meilleur état. La comparaison est donc pour le moins stupide, et que ces chers experts nous pardonnent ce qualificatif.

Parmi les mesures urgentes que ces chers experts préconisent figurent la création d’un fonds spécial pour aider les entreprises mises en difficulté par le Covid-19, le rééchelonnement des dettes bancaires, le report des échéances fiscales et du payement des cotisations sociales, l’institution de nouvelles exemptions fiscales…

Certains, sous prétexte de sauver la Tunisie, vont jusqu’à suggérer la réduction de cinq points du taux directeur de la Banque centrale (cas de l’expert Ezzeddine Saidane…), la mise à la disposition des exportateurs du stock des avoirs en devises de cette institution (17 milliards de dinars)…

D’autres proposent d’actionner le levier de la diplomatie économique en engageant des négociations avec les bailleurs de fonds aux fins de reporter provisoirement les échéances de paiement de la dette et de grignoter une partie des fonds engagés pour aider les pays à faire face au Covid-19.

L’UGTT a choisi de se ranger, momentanément, du côté du gouvernement
Au chapitre social, les syndicats, particulièrement la principale centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a décidé de se ranger aux côtés du gouvernement Elyès Fakhafkah et de lui venir en aide. Elle a demandé à ses adhérents exerçant dans la fonction publique de faire don d’une journée de travail, les ressources générées par ces donations devant être affectées à la création d’un Fonds spécial dédié exclusivement au renforcement des moyens des hôpitaux publics.

Donnant l’exemple, l’UGTT a fait don également de 100.000 dinars de son budget au profit de ce Fonds spécial d’appui au secteur de la santé publique pour lutter contre la propagation de la Covid-19.

La seule revendication formulée par la centrale syndicale a consisté à demander au gouvernement de prendre des mesures sérieuses au profit des travailleurs dans le secteur privé, dans les secteurs précaires, comme les cafés, les restaurants et autres, menacés de chômage et à leur garantir, durant la crise, leurs salaires et tous leurs droits comme la couverture sociale.

Quant aux représentants de la société civile, ils ont attiré l’attention du gouvernement sur la situation précaire des ouvriers freelance, voire des journaliers non encadrés par aucune structure. Il s’agit, entre autres, des sans domicile fixe, des aides ménagères et des ouvriers indépendants.

En l’absence de possibilités de travailler ou de se procurer de quoi vivre en raison de la pandémie du Covid-19 et des restrictions des déplacements exigés par le couvre-feu et autres, il s’agit de leur garantir un revenu minimum et des conditions minimales de vie décente dont une couverture sanitaire acceptable.

Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement ?

Par-delà les préoccupations des uns et les propositions des autres, le gouvernement Elyès Fakhfakh dispose désormais d’assez de visibilité pour manœuvrer et décider au moins dans trois directions.

La première consiste à gérer au mieux les donations dont les 100 MDT fournis par l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (ATPBEF), le fonds proposé par le ministère des finances «1818» et celui par la centrale syndicale (Fonds dédié au renforcement des hôpitaux publics). L’ultime objectif étant d’assurer à leur gouvernance transparente et efficience requises.

La deuxième est de veiller, au cas il déciderait de décaisser des fonds, de les répartir intelligemment et en fonction de l’intérêt supérieur du pays entre les parties concernées. Il serait même vivement conseillé de prioriser et de donner, à titre indicatif, au plan économique, l’avantage aux entreprises qui produisent pour le marché national et qui emploient des centaines de travailleurs tunisiens et d’ignorer à la limite, du moins provisoirement, les entreprises et les franchises qui opèrent exclusivement dans l’importation de produits de luxe non-indispensables (voitures de luxe, parfums, lunettes de soleil, fringues de luxe…).

En troisième lieu, il s’agit de mettre l’accent sur l’aide à fournir, en priorité, aux petits métiers dans l’artisanat et sur les efforts à fournir pour accélérer l’adoption du projet de loi soumis actuellement au parlement, la loi sur l’économie solidaire et sociale, une option économique qui pourrait générer, selon l’ancien ministre des Grandes réformes Taoufik Rajhi, 300.000 emplois.

Cela pour dire, in fine, que parallèlement aux différents mécanismes d’aide et de soutien à mettre en place pour appuyer secteur, entreprises, travailleurs et personnes vulnérables impactés par le Cofid-19, il importe de mettre à profit cette crise pour entreprendre des réformes structurelles dont celle de l’économie solidaire et sociale. On ne le répétera jamais assez, ce type d’économie a pour vertu de s’accommoder des récessions économiques et des crises, et d’intervenir là où les secteurs public et privé ne peuvent pas le faire.

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