Submergé par la pandémie du Covid-19 qu’il peine à juguler, Donald Trump, les yeux rivés sur l’horizon électoral de novembre, est à la recherche d’un bouc émissaire pour faire passer son échec.
Par Hassen Zenati
Sevré des tréteaux électoraux, qu’en ancien animateur de la téléréalité il affectionne tout particulièrement, Donald Trump a squatté le pupitre de la salle de presse de la Maison Blanche pour un point quotidien de plus de deux heures parfois, sur la progression de la pandémie du coronavirus, sans oublier au passage son sport favori : vilipender les médias, qui dramatisent la situation, selon lui, et admonester ses adversaires démocrates, qui, ajoute-t-il, ne seraient jamais à la hauteur pour faire face. Il se présente comme le responsable qui sauve des vies humaines, à la barre d’un pays qui affronte une «épreuve sans équivalent» dans son histoire. «C’est une guerre, il nous faut un général», proclame-t-il. L’exercice semble lui réussir si l’on croit les nombreux sondages qu’il ne manque jamais d’exhiber devant les caméras.
Nié au départ, puis traité à la légère comme un «canular», le coronavirus, devenu «virus vicieux», occupe désormais l’essentiel de l’agenda présidentiel, avec un discours qui ne cesse de varier entre deux extrêmes improbables : un optimisme béat sur une rapide «sortie du tunnel» et un profond pessimisme quant aux sombres perspectives de l’économie américaine.
Le virus a tué plus de 20.000 personnes aux Etats-Unis
Entre les deux attitudes également déroutantes, un fil rouge : Donald Trump ne cesse de se féliciter de la réussite de sa gestion de la pandémie, ainsi que de la politique de confinement, qui lui a pourtant été imposée, contre son avis affichée, par les Etats américains, seuls maîtres du jeu en matière de santé.
Et, alors que le nombre de morts directement imputables au virus ne cesse de croître, il estime qu’il considère déjà avoir remporté une «victoire» si les dégâts pouvaient être limités à 100 ou 200.000 victimes, lui, qui au affirmait au départ de l’épidémie qu’il ne craignait pas plus de quelques centaines de pertes humaines !
Dimanche, on comptait 109.133 morts dans le monde, dont 20.506 aux Etats-Unis, qui sont passés, en nombre de morts fauchés par le virus devant l’Italie (19.468), l’Espagne (16.972), la France (13.832) et le Royaume Uni (9.875).
L’autre mauvaise nouvelle de ce bilan désastreux pour la Maison Blanche est qu’avec 530.000 malades, la pandémie est encore loin de son «pic», alors qu’en Europe, avec 74.500 morts au total, la courbe amorce une légère inflexion.
Les «doreurs d’image» de la Maison Blanche à la manœuvre
Du coup, les «spin doctors», que les Canadiens appellent joliment «doreurs d’image», de la Maison Blanche, commencent à s’interroger à voix basse : faut-il que le président poursuive ce périlleux exercice quotidien au risque de se prendre les pieds dans le tapis de ses contradictions et de brouiller définitivement son image à quelques coudées des élections ? La stratégie n’est pas encore fixée, mais, porté à bout de bras par sa télévision de cœur, Fox News, Donald Trump n’est pas mécontent de ses audiences.
Son socle d’électeurs républicains n’a en effet pas été atteint malgré son discours en zigzag. Il peut toujours compter sur ses fidèles évangélistes, auxquels il adresse de temps à autre un clin d’œil pour les conforter dans leur conviction que la pandémie est in fine une œuvre du Malin, ou un châtiment du Ciel, que l’on ne peut combattre que par la prière, même s’ils ne refusent pas le droit aux hommes de le faire par leurs propres moyens terrestres. Trump n’hésite pas à faire ainsi jouer en sa faveur l’ambiguïté de son discours.
La crise sanitaire aggravée par la crise économique
L’autre stock d’électeurs potentiels qui lui reste favorable, ce sont les acteurs de l’économie anxieux de la mise à l’arrêt de l’activité par le confinement. Même si face à la récession qui s’installe, Donald Trump, qui a réussi depuis son élection à remettre sur pied une économie fragilisée par les délocalisations continues des activités industrielles vers les pays à bas coûts salariaux, ne peut plus se présenter comme le champion de la croissance, il promet la remise au travail le plus rapidement possible des salariés pour sauver les entreprises et garantir le revenu de leurs travailleurs. Son discours à double entrée fait là aussi mouche : chacun y lit ce qu’il veut y comprendre. Pour les uns, c’est la santé et la vie qui priment. Pour les autres, c’est l’économie qui a la priorité pour ne pas ajouter à la crise sanitaire une crise économique.
Les milieux d’affaires ont été confortés par la décision du Congrès, arrachée de haute lutte par Donald Trump, de mettre sur la table 2.500 millions de dollars pour la relance de l’économie dès la fin de la crise sanitaire. Une partie de cette manne doit être distribuée aux salariés licenciés ou placés en chômage partiel. Au grand dam des Républicains qui s’indignent que le soutien accordé pourrait dépasser le salaire minimum, alors que les Démocrates estiment que la «cagnotte» risque de s’épuiser à court terme. Avec la cascade de faillites qui commence, le taux chômage est en effet monté en flèche. Le marché du travail qui s’affichait au mieux de sa forme depuis 50 ans est en train de s’effondrer. Depuis la mi-mars, ce sont au total 13 millions de personnes qui se sont inscrites au chômage.
Trump cherche bouc émissaire désespérément
En outre, le système de santé américain complexe et très inégalitaire, ne bénéficie pas à tous de la même façon. Une partie des travailleurs des petites entreprises ne bénéficient d’aucune assurance, alors que les plus pauvres, relevant du programme fédéral Medicaid, doivent couvrir à leur frais une partie des soins. Avec le coronavirus, le «reste à charge» risque d’être lourd pour eux.
A la recherche d’un bouc émissaire pour camoufler un échec en grande partie dû, selon les experts, à un retard dans l’allumage lors de l’apparition du coronavirus, Donald Trump en a trouvé deux au prix d’un.
Il accusé d’une part la Chine d’avoir laissé se propager le virus dans le monde en refusant pour des raisons de politique intérieure de dévoiler l’épidémie et de partager avec ses partenaires les données dont elle disposait pour leur permettre de réagir à temps. Il s’est d’autre part attaqué à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qu’il accuse d’être inféodée à Bejing et de dupliquer ses analyses même lorsqu’elles sont erronées. Ce qui expliquerait, selon lui, les erreurs de parcours faits au départ par Washington dans sa lutte contre le virus. L’administration qu’il dirige n’y serait donc pour rien. CQFD.
Face a un animal politique qui ne craint pas de plier la réalité à son discours électoral, les Démocrates restent perplexes. Ils sont comme tétanisés par les audaces de leur rival sur toutes les télévisions du pays, alors qu’ils sont eux mêmes confinés, pratiquement sans voix pour le contrer.
Le premier réflexe de l’un des deux derniers candidats à la candidature démocrate, Bernie Sanders, a été finalement de jeter l’éponge pour laisser la voie large ouverte devant son adversaire, Joe Biden. Mais ce dernier n’aura aucune chance de gagner si le dé-confinement n’intervient pas assez tôt pour lui permettre de reprendre son bâton de pèlerin et mettre Donald Trump devant ses contradictions face à ses électeurs. Sa tâche semble difficile.
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