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La pandémie du coronavirus aux Etats-Unis : le «canular» se rebiffe

Donald Trump se gaussait de ce virus non-américain, étranger, venu de Chine, en qualifiant de «canular» la pandémie du coronavirus en route vers les Etats-Unis. Depuis, devant la flambée des cas d’infection et la progression du nombre de morts, les Américains anxieux s’interrogent. Mais la Maison Blanche persiste et signe: ne détruisons pas l’économie pour sauver des vies !!!

Par Hassen Zenati

Les Américains commencent à se rendre compte de jour en jour de l’étendue de l’épidémie du coronavirus. Ils avaient sous leurs yeux, à travers les télévisions du monde, ses effets en Italie, en Espagne, en France et plus généralement en Europe. Malgré le déni obstiné des autorités fédérales, ils s’aperçoivent que dans leur propre pays le coronavirus a déjà entraîné la mort de 700 personnes et infecté près de 55.000 autres, officiellement déclarés, selon un premier comptage des experts.

Il leur est difficile depuis quelques jours, d’ignorer les appels angoissés des scientifiques, qui tirent de plus en plus fort les sonnettes d’alarme en réclamant un confinement général et strict dans tout le pays. Si l’on ne fait rien, prédisent-ils, il y aura deux millions de morts aux Etats-Unis. La capitale économique, New-York, neuf millions d’habitants environ, est en passe de devenir l’épicentre de l’épidémie. Son taux d’infection est huit à dix fois plus élevé qu’ailleurs dans le reste du territoire. Le nombre de cas qui y sont détectés double tous les trois jours ! Ville phare, cœur battant de la finance internationale, elle pouvait sans nul doute se passer d’un tel palmarès, au moment où les bourses en folie, dont Wall Street, sont à la recherche d’un nouveau souffle.

Donald Trump tergiverse et met son peuple en danger

Devant la catastrophe qu’ils pressentaient imminente, les Américains attendaient de leur président qu’il manifeste un leadership ferme dans la conduite de la crise sanitaire. Ils en sont à constater, à leur grand désarroi, qu’il ne cesse de tergiverser.

Aux premiers jours de l’apparition du virus, il a commencé, en effet par minimiser l’épidémie, en qualifiant à la légère de «canular» ce «virus chinois», étranger, donc, qui, selon lui, ne pouvait affecter l’hyper-puissance mondiale qu’il dirige d’une main de maître, comme il aime souvent à s’en flatter devant ses électeurs fascinés. «Nous avons (le virus) sous contrôle, il disparaîtra comme par miracle», proclamait-il, il y a quelques jours encore devant les conseillers scientifiques incrédules de la Maison Blanche, qui s’échinaient en vain à le recadrer.

Dans son sillage, des courtisans zélés expliquaient doctement aux journalistes que Covid-19 ne pouvait être que le nouvel instrument que ses adversaires veulent utiliser contre lui pour empêcher sa réélection en novembre prochain, qu’ils tiennent pour acquise. Certain vont plus loin en parlant d’une nouvelle tentative de relancer la destitution du président avant le scrutin, après qu’il eut échappé à un premier procès en impeachement il y a quelques mois. La contre-campagne, menée tambour battant, est orchestrée, par sa chaîne de télévision de cœur, Fox News, qui ne cesse de pourfendre les Démocrates censés être à l’origine du «complot».

«Le bout du tunnel est en vue», répétait pour sa part Donald Trump rassurant, en prônant les thèses des pro-business pour lesquels il ne faut surtout pas mettre l’économie à l’arrêt pour combattre l’épidémie. Il y ajoutait de son crû un zeste de cynisme : «Il y aura des morts du fait du Covid-19, comme il y a eu des morts de la grippe, et qu’il y a tous les jours des morts sur la route. La plupart des sujets en danger du coronavirus sont vieux et vulnérables. Ils sont appelés à mourir. Pourquoi arrêter l’économie?», en décrétant un confinement que les scientifiques ne cessent de réclamer avec de plus en plus d’insistance. La grippe fait en moyenne 37.000 morts par an aux Etats-Unis, avec cette différence avec le Covid-19 que les autorités disposent de vaccins pour la prévenir et de traitements pour la combattre et en arrêter la progression. Ce n’est toujours pas le cas pour le coronavirus dévastateur.

Mais, à la vue des premiers bilans partiels des effets de l’épidémie, Donald Trump change pied. Il se présente comme un président «en guerre» contre le virus. Il décrète la «mobilisation générale», y compris au sein de l’armée, en se vantant d’avoir été le premier à prévoir que le monde n’échappera pas à la pandémie qui, d’Asie et d’Europe, est en train de gagner les Etats-Unis à la rapidité d’un typhon!

Pour le locataire de la Maison Blanche, le business importe plus que de la santé

Pourtant, cette conversion tardive ne durera pas longtemps. Car, voilà le locataire de la Maison Blanche de nouveau sur le front du business, armé et casqué, réaffirmant qu’il ne peut se résigner «à affaiblir l’économie américaine pour sauver la vie de quelques personnes âgées», destinées de toute façon à périr, aurait-il pu ajouter. «Il ne faut pas que le remède soit pire que le mal», décrète-il sentencieux. C’est son nouveau credo. «On peut perdre un certain nombre de personnes à cause de la grippe. Mais on risque de perdre plus de personnes en plongeant le pays dans une récession grave ou une dépression, avertit-t-il. Il n’hésite pas à agiter l’épouvantail d’une vague «de milliers de suicides», dans le cas d’une grande dépression, comme en 1929.

Les choses sont désormais claires dans l’esprit de ce président atypique plus clivant que jamais: les Américains doivent faire preuve de bon sens et retourner au travail le plus rapidement possible, avant Pâques, si possible, en laissant au virus sa part du feu, en sauvant les plus forts. Et l’un de ses conseilleurs de renchérir dans ce darwinisme social : «Les grands-parents sont prêts à mourir pour sauver leurs petits-enfants».

Bien que contradictoires, ces postures successives ont attiré au chef de l’exécutif américain une réplique indignée et cinglante du gouverneur de New York, le Démocrate Andrew Marc Cuomo : «Nous n’allons pas mettre un prix en dollars sur une vie humaine», a-t-il dit. Par défi, il a décidé de baptiser du nom de sa propre mère : Mathilde, 89 ans, le plan de bataille d’envergure contre le virus qu’il a engagée à Big Apple.

Depuis le début de cette guerre inédite contre un virus invisible, insaisissable et meurtrier, Andrew Cuomo s’est toujours senti abandonné par l’autorité fédérale. Le cynisme de Trump, l’a poussé à taper du poing sur la table en alertant de tous les toits : le «pic» de l’épidémie arrive plus vite que prévu. Il sera atteint mi-avril. Il faudrait alors 140.000 lits pour assurer l’hospitalisation de l’énorme flux de malades qui va déferler sur les établissements de santé, soit trois fois plus que le nombre de lits disponibles dans l’Etat, et des dizaines de milliers de ventilateurs pour traiter les infections les plus sévères, alors que les autorités sanitaires fédérales n’en ont fourni que quelques milliers à peine. Il se dresse ainsi comme le contre-modèle de Donald Trump dans la gestion de la crise sanitaire dans son état, en pourfendant l’optimisme sans limites du président, qui, pour sa part, n’a cessé de répéter que «le bout du tunnel est en vue».

Au-delà de ces gesticulations et des contorsions dans ses discours twittés, Donald Trump semble n’avoir plus qu’une seule idée en tête, qui l’obsède : sa réélection en novembre prochain pour un second mandat présidentiel. Faisant sienne la fameuse réplique en 1992 de James Carville, conseiller de Bill Clinton : «It’s economics stupid», face à son rival George Bush, qui venait de perdre les élections, sans vraiment comprendre pourquoi, Donald Trump a toujours mis en avant ses talents de «magicien de l’économie» pour séduire ses électeurs. Avant le coronavirus, son bilan très largement positif, lui assurait une course en tête et sa réélection dans un fauteuil.

Après le coronavirus, les incertitudes s’accumulent. L’horizon s’assombrit peu ou prou. La récession qui s’est déjà enclenchée lui promet d’avoir des millions de chômeurs sur les bras, alors le pays était au plein emploi, une explosion de la pauvreté, un pouvoir d’achat en berne pour une classe moyenne, qui reste la colonne vertébrale de son électorat, le recul des investissements, des déficits budgétaires et commerciaux abyssaux et un nouveau départ en flèche de la dette, etc.

Les certitudes d’hier ont laissé place à des lendemains incertains. Son premier geste a été de délier les cordons de la bourse en négociant laborieusement avec le Congrès un gigantesque plan de relance de 2.000 milliards de dollars, qualifié à juste titre de «plan de sauvetage historique». Il doit bénéficier sous diverses formes aux entreprises en difficultés, en particulier les PME, pour éviter des licenciements massifs – des pans entiers de l’économie américaine sont à l’arrêt depuis le début de l’épidémie – aux chômeurs et aux familles, notamment. Le Trésor doit ainsi verser 1.200 dollars à chaque adulte et 500 dollars à chaque enfant, en garantissant aux salariés licenciés quatre mois de salaire intégral. Il aura fait enter les Etats-Unis dans une «économie de guerre». Mais il lui reste pour traverser ces turbulences à montrer qu’il sera à la hauteur du «New Deal» et de son auteur Franklin Delano Roosvelt, qui a permis de remettre sur les rails une économie terriblement secouée par l’écroulement des bourses, un certain «jeudi noir» de 1929.

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