Rached Ghannouchi est l’un des hommes politiques les plus haïs en Tunisie. Il est, en tout cas, toujours placé en bas du classement des sondages de popularité, mais cela ne semble pas beaucoup le déranger, au point d’ailleurs qu’il continue d’afficher sa morgue habituelle, comme une jeune premier promis à un bel avenir.
Par Ridha Kéfi
À presque 79 ans (il les fera le 22 juin prochain), le président du parti islamiste tunisien ne lâche rien : il est de tous les mauvais coups, à essuyer les claques et à supporter les hostilités avec une rare abnégation. C’est à se demander s’il n’alimente pas lui-même délibérément les haines autour de lui pour qu’en retour, il s’en nourrisse, tant il semble avoir besoin d’être détesté des autres pour se sentir exister.
Il gagne les matches perdus par ses adversaires
Dans le marigot politique tunisien, Rached Ghannouchi est un animal à part. Féroce crocodile, à la peau dure et aux mâchoires tranchantes (ce mangeur d’hommes ne compte plus ceux qu’il a bouffés, cuits ou crus), il ne cherche pas à être aimé et encore moins à séduire. Il sait qu’il n’en a pas les moyens. Dénué de tout charisme, ennuyeux, disgracieux et, surtout, mauvais tribun, il n’est pas du genre à tenir en haleine son public. Alors, sa méthode à lui consiste à être juste là, à ne rien faire de bon, à tourner en rond, à faire dormir ses adversaires les uns après les autres, et à durer le plus longtemps possible, plus longtemps, en tout cas, que ses adversaires, souvent pressés et sûrs d’eux, et qui finissent tous consumés par le feu qu’ils ont eux-mêmes allumé.
Bref, Rached Ghannouchi gagne les matches perdus par ses adversaires : il ne les bat pas à la régulière, dans un combat d’homme à homme, face-à-face et les yeux dans les yeux (les siens sont d’ailleurs toujours baissés), mais cueille leurs échecs comme un fruit mûr, qui tombe dans sa bouche.
Il en fut ainsi de Bourguiba, puis de Ben Ali et, last but not least, de Caïd Essebsi. Il les a tous eus, pour ainsi dire, à l’usure, en pariant sur leurs erreurs. Et Dieu sait si ces égocentriques en avaient fait, des erreurs. Et la plus grosse de toutes, c’est d’avoir érigé, eux-mêmes, une statue à leur adversaire islamiste. C’est eux, en tout cas, qui l’ont propulsé, à l’insu de leur pleine gré, et lui ont permis, au terme d’une longue vie d’errance idéologique et politique, de cueillir les fruits d’une révolution à laquelle pourtant, ni lui ni ses adeptes n’ont vraiment participé.
Va-t-il échouer à deux pas du palais de Carthage ?
Opportuniste qu’il a toujours été, au point de composer avec ses adversaires et de s’incliner volontiers devant eux (il l’a fait avec Bourguiba, Ben Ali et Caïd Essebsi), en attendant d’assister à leur chute inéluctable, le leader islamiste sait qu’avec cette stratégie du moindre effort, il peut aller encore très loin. Mais à 79 ans et avec un bilan de santé mitigé, le temps ne travaille plus pour lui et il voit le poste auquel il pense tous les matins (en ne se rasant pas), celui de président de la république, s’éloigner de lui un peu plus chaque jour.
D’ailleurs, les misères qu’il ne cesse de faire à Kaïs Saïed traduisent le profond sentiment de frustration et d’envie que ce dernier lui inspire, car, contrairement au professeur de droit constitutionnel, le chef islamiste aura besoin de beaucoup de temps (4 ans c’est trop long pour un homme presque octogénaire) et de moyens physiques et mentaux pour espérer entrer un jour au Palais de Carthage par la grande porte.
Alors, en voyant cette perspective s’éloigner inéluctablement, il s’énerve, s’agite et multiplie les bourdes, alors qu’autour de lui, après le départ de tous les dinosaures, le dernier en date étant Abdelfattah Mourou, les «jeunes mâles» se bousculent au portillon pour prendre la place du vieux lion. Et si le match ne se jouait plus entre Le Bardo et Carthage mais à Monptlaisir, au centre-ville Tunis, au siège même du parti Ennahdha ?
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