Le pouvoir en Tunisie est confisqué par les lobbys et les réseaux qui se cachent derrière les partis qu’ils financent à coup d’argent liquide. Il est entre les mains d’une grappe d’affairistes et de contrebandiers poussés par l’instinct de cupidité et par un impérieux besoin de domination. Ce sont les individus les plus futés qui se partagent l’essentiel des postes clés et se battent toujours pour les garder par tous les moyens. Plus besoin de compétences, c’est l’argent qui donne valeur aux gouvernants. Cela doit changer, et les prémices du changement sont là.
Par Ezzeddine Kaboudi *
La vie politique en Tunisie est ponctuée de grands événements qui ne manquent pas de marquer les esprits. C’est le cas récemment du rejet de la motion de retrait de confiance au président du parlement.
C’est, certes, une nouvelle victoire de la jeune démocratie représentative tunisienne, mais c’est également une crise de plus, qui n’est ni tenable, ni viable et qui risque de causer des dissensions lourdes de conséquences.
En effet, la confrontation imposée par les deux grands partis actuels en course a été régulée en partie à travers le jeu des pouvoirs, durant lequel les parties prenantes ont usé avec plus ou moins d’habileté tous les subterfuges dont ils disposaient. Chacun a tenté à sa manière d’influencer la décision finale : négociations, alliances, ruses, traîtrises, tout était bon pourvu que les intérêts soient préservés.
Même si l’issue était a priori attendue et ne faisait guère de mystère, ce bras-de-fer a, tout de même, réussi à nous faire découvrir un parlement fracturé à l’image du pays. Comme il a également mis à nu les limites d’un système politique, censé devoir fixer les attributions et les fonctions de l’État, tout en confiant leur exercice exclusif à différents corps élus et à des indépendants.
Séparation des pouvoirs et pouvoir dispersé
D’ailleurs, on a cru comprendre que la règle de la séparation des pouvoirs devait être observée à la lettre. Elle s’avérait incontournable, et devait être une réalité effective, car elle permettait de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines.
Ainsi, le propre d’une constitution républicaine, c’est justement de spécifier la législation régissant les règles d’indépendance, celles qui organisent les moyens de pression dont pourraient disposer les instances politiques. Du coup, on conseillait souvent aux Etats de confier la gouvernance et l’application des lois à l’exécutif, le vote des lois au législatif, et la justice au pouvoir judiciaire.
Certes, les juristes tunisiens ont cru bien faire en veillant à ce que le pouvoir soit dispersé et non concentré dans les mains d’un seul homme ou d’un seul parti. Mais, si on regarde de plus près le cadre constitutionnel de la Tunisie, il y a de quoi tomber à la renverse.
Une fois de plus, le système politique a montré ses limites, en révélant le profond clivage entre les trois présidences et en faisant éclater au grand jour la guerre des positions que se livrent les trois institutions pour affirmer leur pouvoir et marquer leur territoire.
Un parlement qui prend les gouvernements en otages
Le souci, c’est qu’on s’est retrouvé à composer, avec un parlement qui exerce, sans conteste, son pouvoir sur les trois présidences, au risque d’altérer l’équilibre des institutions. C’est, donc, une situation-problème, puisque cette hégémonie sans partage a littéralement permis à certains partis politiques de prendre les gouvernements successifs en otage, les forçant parfois à démissionner. Ce qui explique, d’ailleurs, le fait qu’ils n’arrivaient pas à exercer plus que quelques mois.
En effet, durant des années, on s’est retrouvé avec :
-un législatif impliqué dans les conflits qui opposent les partis et dont le seul souci est de contrôler l’exécutif avec comme ligne de mire les postes clés (ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Communication…), uniquement dans le but d’éviter à certains partis de rendre des comptes dans les affaires de corruption, de contrebande et de terrorisme;
-un exécutif qui a perdu le gouvernail d’une Tunisie en pleine tourmente et qui se trouve souvent tiraillé entre des partis qui se regardent en chien de faïence;
-une présidence de la république affaiblie, de par l’article 71 de la Constitution de 2014 qui ne lui a attribué que la gestion des portefeuilles des Affaires étrangères et de la Défense, conjointement avec le chef du gouvernement
Le pouvoir confisqué par les lobbys cachés derrière les partis
Cette réalité, qui se passe de tout commentaire, montre toute la difficulté à cerner celui qui détient réellement les rênes du pouvoir en Tunisie ? Est-ce le président du parlement, ou bien le président de la république ou bien le chef du gouvernement ?
En fait, ni l’un ni l’autre !
Le pouvoir est confisqué par les lobbys et les réseaux qui se cachent derrière les partis qu’ils financent à coup d’argent liquide. Le pouvoir est entre les mains d’une grappe d’hommes d’affaires et de contrebandiers désabusés, poussés par l’instinct de cupidité et par un impérieux besoin de s’accaparer le pouvoir. Ce sont les individus les plus débrouillards et les plus futés qui se partagent l’essentiel des postes clés et se battent toujours pour les garder par tous les moyens. Plus besoin de compétences ni même parfois de baccalauréat, c’est l’argent qui donne valeur aux personnes qui gouvernent la Tunisie.
Force est de constater que ces mêmes personnes paradent toujours sur le devant des médias et promettent encore monts et merveilles à coup de beaux discours. Il n’y a plus rien à espérer, plus rien à attendre de ces personnes. Cette classe politique n’est, donc, plus digne de nous représenter, ni en capacité de nous gouverner.
Il faudrait les démasquer, les traquer et les débusquer, avec une seule idée en tête : oser dénoncer ceux qui bloquent le fonctionnement du gouvernement et qui le maintiennent sous le joug de la cupidité.
Aujourd’hui, les prémices sont bonnes, et c’est une belle occasion pour permettre aux institutions politiques de se repositionner et de se consacrer finalement aux problèmes du pays. Parmi ces prémices :
-nous avons enfin un président qui ne trempe pas dans les manœuvres politiciennes et qui ne se préoccupe que de l’intérêt supérieur de la nation;
-un futur chef de gouvernement désigné par la présidence de la république, qui fait montre d’une honnêteté exemplaire, et qui n’appartient pas au monde de la politique ni au monde des affaires. Ce scénario semble le mieux à même d’assurer l’indépendance du pouvoir exécutif vis-à-vis du dictat du parlement;
-et une farouche opposition au parlement qui va certainement permettre d’éviter le déséquilibre des institutions.
L’enjeu, c’est de lever le flou qui persiste encore sur l’implication des partis politiques dans la corruption et la contrebande, dans les assassinats politiques, les transferts d’argent, le sort des emprunts, le financement des associations et des partis politiques, la chambre noire du ministère de l’Intérieur et l’appareil secret… Ça fait froid dans le dos.
Mais cela n’enlève rien au fait que, démocratiquement, la Tunisie continue à donner des leçons.
* Universitaire, auteur du livre ‘‘À la recherche de la structure cachée du Coran’’, éd. Edilivre.
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