Les attentes des Tunisiens résidents à l’étranger, qui en sont à la 3e voire 4e génération de l’immigration, ont évolué et touchent désormais aussi bien les aspects économiques et culturels que les revendications de citoyenneté sur lesquels aucun travail sérieux n’a été entrepris jusque-là, malgré les espoirs alimentés par la révolution de janvier 2011. Ces attentes devraient être prises en compte par le gouvernement en cours de constitution par Hichem Mechichi.
Par Nadia Chaabane et Mohamed Smida *
Les Tunisiens résidants à l’étranger vivent dans 108 pays sur les cinq continents et pratiquent des dizaines de langues différentes.
La très grande majorité (83%) de cette population est en Europe et constitue pour la Tunisie un atout extrêmement important. C’est une composante de poids dans le système des relations internationales et doit être appréhendée dans ses diverses dimensions socio-économiques, politiques et historiques qui en font un élément stratégique pour la Tunisie.
Bien avant la révolution de 2011, des changements étaient déjà à l’œuvre dans notre «diaspora» qui n’était plus dans l’ère de la première génération de migration peu scolarisée.
Nous sommes à la 3e génération voire 4e génération de Tunisiens résidents à l’étranger, une immigration qui se diversifie avec notamment des cadres et des femmes seules dont le nombre a augmenté ces dernières années.
Des revendications de citoyenneté complète
Les attentes ont également évolué et touchent désormais aussi bien les aspects économiques et culturels que les revendications de citoyenneté sur lesquels aucun travail sérieux n’a été entrepris jusque-là.
Alors que des consultations pour constituer le futur gouvernement sont en cours, il nous semble primordial que la dimension «diaspora ou Tunisiens résident à l’étranger» soit appréhendée dans sa globalité comme l’une des priorités dans les politiques publiques à développer pour sauver le pays.
Pour les 10% de la population que sont les TRE, il n’y pas eu, depuis la révolution de réelle rupture avec les anciennes politiques mis à part la constitutionnalisation du droit de vote et d’éligibilité aux élections nationales et l’élection de députés qui les représentent au parlement.
Au-delà de son apport économique, non négligeable, la «diaspora» tunisienne reste une partie intégrante du peuple tunisien et veut jouer pleinement son rôle dans le développement du pays et la consolidation des acquis démocratiques. Cependant, les gouvernements successifs depuis 2011 n’ont fait que continuer à négliger ce potentiel et ont fait perdurer des pratiques verticales qui ont suscité dernièrement beaucoup d’inquiétude et le sentiment de ne pas être considérés comme citoyens à part entière par nombre de nos concitoyens vivant à l’étranger et particulièrement en France.
Composante importante dans les relations internationales, les Tunisiens vivant à l’étranger dont plus de 800.000 en France doivent être appréhendés avec les dimensions socio-économiques, politiques et historiques qui en font un élément stratégique et pour cela, il faut doter les Tunisiens résident à l’étranger d’un secrétariat d’Etat rattaché à la présidence du gouvernement et à défaut au ministère des Affaires étrangères (MAE).
La nécessité de rompre avec la volonté de contrôle et de maintien sous assistance
Nous pensons que le potentiel multidimensionnel que constitue la «diaspora» présente dans 108 pays et pratiquant des dizaines de langues différentes est un atout stratégique et le doter d’un secrétariat d’Etat rattaché à la présidence du gouvernement ou au MAE, ministère de souveraineté, permettrait de le mettre au service d’une nouvelle ambition pour le pays.
Cela nécessitera de réformer l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE) et d’adapter les structures administratives et consulaires ainsi que les outils d’intervention de l’Etat, en adéquation avec l’évolution de notre communauté et à ses attentes et ses ambitions pour notre pays.
Une telle décision impliquera un début de rupture avec les anciennes politiques publiques cantonnées pour l’essentiel dans des services administratifs rendus et combinant volonté de contrôle et de maintien sous assistance. Ce sera également un signal fort destiné à la fois aux Tunisiens résidents à l’étranger, aux partenaires et au reste de la communauté nationale d’un changement de cap.
Nous savons que beaucoup reste à faire pour révolutionner le regard porté sur les tunisiens vivants à l’étranger et notamment que le gouvernement adopte une vraie stratégie qui les cible comme acteurs et non seulement comme des Tunisiens ayant des besoins spécifiques, mais une telle décision permettra un début de réconciliation de l’immense majorité des compatriotes expatriés et de retour de la confiance très mise à mal, ces derniers temps.
Accélérer la mise en place du Conseil supérieur des Tunisiens à l’étranger
Il faudra également modifier la loi du fameux Conseil supérieur des Tunisiens à l’étranger proposé par les associations tunisiennes en France depuis bien avant la révolution et remis à l’ordre du jour après 2011. Certes, une loi pour la création d’un Conseil supérieur des tunisiens à l’étranger a bien été votée en 2016 mais d’une part cette loi en a fait l’antichambre de l’Assemblée (les 18 élus des Tunisiens à l’étranger en sont membres d’office) plutôt qu’une instance indépendante ayant vocation à faire participer la société civile et d’autre part le dit conseil n’a pas encore vu le jour.
Pour être utile et efficace le futur Conseil supérieur des tunisiens à l’étranger devra être indépendant, représentatif de la diversité des Tunisiens résidents à l’étranger et doté de compétences transversales qui permettent une réelle concertation avec la société civile et sa participation réelle à l’élaboration et à l’évaluation des politiques nationales en matière de migration
Nous pensons que de telles options permettront de changer de cap et de donner des signaux forts pour remédier au déficit de connaissance de la diaspora, au manque de reconnaissance et au sentiment de stigmatisation de des tunisiens résidents à l’étranger réduits souvent à des chiffres et à des variables d’ajustement.
* Activistes politiques tunisiens résidents en France.
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