L’auteur exprime son opposition à la décision tunisienne du 28 août 2020 relative à l’extension de la subvention des semences céréalières aux variétés étrangères et explique sa position.
Par Béchir Mestiri *
Quelques jours avant le passage de relais, le ministre de l’Agriculture sortant, Oussama Kheriji, signe un décret autorisant l’extension de la subvention de la multiplication de semences céréalières aux variétés importées.
Cette subvention, traditionnellement réservée aux coopératives d’agriculteurs (COSEM, CCSPS) pour la production et la multiplication de semences locales destinées aux grandes cultures, a pour but de soutenir le développement et l’utilisation de semences sélectionnées autochtones par les agriculteurs.
Depuis 5 années environ, un nouveau-venu du secteur privé, la SOSEM, s’est imposé comme concurrent aux dites coopératives et a inscrit dans son catalogue des variétés étrangères contrairement aux opérateurs traditionnels.
Risque d’affaiblissement de la filière locale des semences
Cette mesure d’extension de subvention de dernière minute ne peut être comprise que comme une «faveur ministérielle» accordée à la SOSEM, à la demande, semble-t-il, de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap), le syndicat historique des agriculteurs tunisiens.
De plus, en matière de production végétale, Les semences tunisiennes ne représentent actuellement que 5% de l’ensemble des semences contre 25% en 2004 et 65% en 1975, selon une étude sur «Le rôle de la Banque nationale des gènes dans la conservation de la diversité biologique et la sécurité alimentaire en Tunisie» réalisée en partenariat avec l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites). Cette étude révèle que cet état est la résultante, essentiellement, de l’absence d’organisation, de coordination et de contrôle dans la filière de la production de semences dont est responsable, en premier chef, le ministère de l’Agriculture.
Le marché de semences en Tunisie, inondé de variétés étrangères
En clair, cette initiative contribuera à affaiblir la filière locale et ne profiterait qu’à un seul opérateur : la SOSEM, sous prétexte que seules les variétés importées nous mèneraient à l’autosuffisance et la sécurité alimentaires.
En définitive, le marché de semences en Tunisie, inondé de variétés étrangères, offrirait son dernier rempart aux firmes internationales, sacrifiant par la même son savoir-faire, son patrimoine bien plus adapté que tout autre matériel génétique et son réseau d’institutions scientifiques centenaires (INRAT, INAT, IRESA…) qui n’a pas son pareil dans tout autre secteur de l’économie tunisienne.
* Agriculteur, céréalier et éleveur ovin, président de Conect Agri.
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