Il y a 47 ans, le 6 octobre 1973, l’armée égyptienne franchissait le canal de Suez et en chassait l’armée israélienne, mais son avancée arrêtée net par décision politique allait se transformer en repli puis en capitulation. Pour tout dire, après Octobre 1973, les Arabes se sont désintégrés dans les luttes intestines au Liban et au Koweït. Les Américains ont tiré la leçon de cette guerre, occupé les champs pétroliers de l’Irak, encerclé l’Iran et envoyé des troupes en Arabie Saoudite; désormais tout embargo pétrolier est impossible. La guerre pour le contrôle du pétrole et du gaz s’est étendue en Libye et c’est le Maghreb qui est désormais menacé.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le 6 octobre 1973 en début d’après-midi, les commandos de l’armée égyptienne franchissaient le canal de Suez en canots pneumatiques et prenaient d’assaut les fortins établis tout le long du canal de Suez, par l’armée israélienne, appelés Ligne Bar Lev, du nom du général qui en avait supervisé la construction.
Les contre-attaques des blindés israéliens tenus en réserve à quelques kilomètres en arrière du front étaient stoppées grâce à la puissante artillerie déployée sur la rive ouest du canal, jointe aux missiles anti tanks portatifs utilisés par l’infanterie égyptienne. L’aviation israélienne ne pouvait intervenir du fait des batteries de missiles Sam qui couvraient toute la zone des combats. Et plusieurs chasseurs Phantom F4 de fabrication américaine étaient abattus par les missiles Sam soviétiques.
Les Israéliens retirent leur armée à 20 kilomètres à l’Est du canal
La situation devenait tellement sérieuse et les pertes tellement énormes pour les Israéliens qu’ils décidaient de retirer leur armée à 20 kilomètres à l’Est du canal et de se placer dans une position d’attente, en dehors de la zone de couverture des batteries de missiles égyptiennes, et pour faire face à une menace plus sérieuse.
Dans le même temps, l’armée syrienne attaquait sur les hauteurs du plateau du Golan occupé, et les blindés syriens franchissaient en masse la ligne de cessez-le-feu établie en juin 1967 en étant accrochés par les quelques blindés israéliens postés sur le plateau et menaçaient de percer la frontière israélienne au nord de la Galilée.
Quelques heures après le début de la guerre, le ministre de la Défense israélien, Moshé Dayan, revenait de sa visite d’inspection du front complètement ébranlé, et parlait de la perte imminente du 3e Temple. L’armée égyptienne avait donc toute la latitude de se déployer et de se renforcer sur une profondeur d’une quinzaine de kilomètres le long du canal. Mais après son succès initial, le président égyptien Anouar Sadate, contre l’avis de son chef d’état major Saad Eddine Chadli, décidait de ne pas poursuivre la coordination militaire avec les syriens en s’abstenant d’attaquer immédiatement après les pertes sévères infligées à l’armée israélienne, pour prendre les deux cols stratégiques de Mitla et Jidi, dont la possession aurait assuré à l’armée égyptienne un avantage bien plus considérable, en rendant toute contre-attaque israélienne bien plus coûteuse en hommes et en matériel. Ce faisant il accordait ainsi aux Israéliens l’opportunité de se concentrer sur un seul front, celui du Golan, où ils devaient finalement emporter la décision en stoppant l’offensive syrienne pratiquement sur la frontière, puis de réoccuper la totalité du Golan, et de s’enfoncer au-delà de l’ancienne ligne de cessez-le-feu.
Le mauvais choix du président Sadate sera payé cher
Ce choix, l’armée égyptienne devait le payer fort cher lorsque huit jours plus tard elle décidait de se déployer dans le Sinaï et de passer à l’attaque. L’armée israélienne qui avait eu toute latitude de se renforcer grâce au gigantesque pont aérien américain ordonné par le président Nixon pour compenser ses pertes, l’attendait de pied ferme. Des centaines de blindés égyptiens furent donc détruits au cours de cette bataille, qui devait marquer l’un des tournants de la guerre, obligeant l’armée à se replier sur sa ligne de départ. Et les Israéliens, sans aucun doute grâce aux images satellites fournies par les Américains, franchissaient même le canal de Suez à la jonction des deux armées égyptiennes et finissaient par détruire les batteries anti-aériennes, placées le long du canal, puis à encercler la 3e armée égyptienne.
Les pays de l’Opep pour une fois unis décidaient alors l’embargo sur le pétrole, et cette mesure conférait alors au conflit israélo-arabe une dimension mondiale. Le cessez-le-feu établi alors sous l’égide des Américains et le processus de désengagement des forces qui en résultait aboutissaient alors à l’établissement d’une zone démilitarisée le long du canal de Suez, progressivement élargie. Mais la paix ne devait finalement être établie entre Israël et l’Egypte qu’après le voyage de Sadate à Jérusalem en 1977, puis les accords de Camp David de 1979, cosignés par les Américains.
L’année 1979 fut d’ailleurs celle de l’avènement de la république des Mollahs en Iran, et de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques. La Syrie, elle, refusait de s’associer à cette Pax Americana et choisissait ce qu’elle appelait le camp de la fermeté, soutenue par la Libye et certaines organisations palestiniennes. Ces accords de Camp David ainsi que l’abstention syrienne eurent des conséquences, elles furent responsables de l’invasion israélienne du Liban en 1982. Mais entre-temps la guerre Irak Iran avait débuté, elle devait durer dix ans, faisant voler en éclat l’hypothétique solidarité entre pays producteurs du pétrole.
Quelles conclusions peut-on aujourd’hui tirer de cette guerre, alors que les uns après les autres, les pays arabes «normalisent» leurs relations avec les Israéliens, et qu’ils préfèrent se placer sous le parapluie des Américains en menant entre eux des guerres par procuration pour leur compte ?
Une semi victoire au goût d’une défaite
La guerre de 1973, fut entièrement menée grâce au matériel américain et soviétique et elle s’insère donc bien dans le conflit Est-Ouest de l’époque. Menée par la Syrie et l’Egypte pour libérer leurs territoires occupés en juin 1967, elle fut à son début un succès militaire, grâce à l’effet de surprise obtenu, mais aussi au mépris en lequel dans le monde entier on tenait les Arabes. Les Israéliens ont prétendu des années plus tard que Ashraf Marouane, le gendre du président Nasser, travaillait pour leur compte et les avait prévenus de l’horaire de l’attaque. Ceci semble douteux parce que leurs services secrets n’ont pas l’habitude de dévoiler la date de l’attaque. Et c’est l’Egyptienne Hibah Salim, dont le fiancé travaillait à l’état major de l’armée égyptienne, qui devait être démasquée en tant qu’agent du Mossad. Le couple serait exécuté par les organes de sécurité égyptiens, l’espionne ayant finalement été attirée et enlevée à Tripoli. Quoiqu’il en soit, les Israéliens ne furent informés des desseins égyptiens qu’aux tous derniers moments, et lorsqu’ils le firent savoir, leurs adversaires ne firent qu’avancer la date de l’attaque de quelques heures. Les Israéliens ne disposèrent donc pas du temps nécessaire pour mobiliser leurs réservistes et furent obligés de se battre sur deux fronts ce qui aggrava considérablement leurs difficultés. Mais apparemment les Egyptiens furent surpris par la facilité avec laquelle ils réalisèrent leurs objectifs initiaux, grâce aussi à la collaboration syrienne, et il s’est avéré plus tard que Sadate n’avait jamais eu l’intention de réaliser des objectifs de guerre à la portée de son armée, ceux d’atteindre et de tenir les passages du Sinaï. Il avait placé tous ses espoirs dans une intervention américaine et dans le Docteur Henry Kissinger.
Aujourd’hui, l’Egypte, stratégiquement exclue du Moyen Orient depuis Camp David, est impuissante obtenir la part qui lui revient en Afrique, des eaux du Nil. Pour la Syrie, les choses ont été évidemment bien pires. Ce pays n’est plus qu’un amas de décombres où Russes, Turcs, Iraniens, et Israéliens, s’affrontent. Et l’Arabie Saoudite, qui avait initié l’embargo sur le pétrole afin de venir en aide aux armées égyptienne et syrienne en difficultés, n’a plus actuellement d’autre choix face à l’Iran jugé menaçant que de mener une guerre interminable et épuisante au Yémen, un autre pays arabe.
Les Arabes encore et toujours dans la tourmente
Pour tout dire, après Octobre 1973, les Arabes se sont désintégrés dans les luttes intestines au Liban et au Koweït. Les Américano-israéliens ont eux aussi tiré la leçon de cette guerre. Les Américains ont occupé les champs pétroliers de l’Irak et encerclé l’Iran; ils ont envoyé des troupes en Arabie Saoudite; désormais tout embargo pétrolier est impossible. Et les Israéliens se battent en Syrie pour y empêcher qu’une quelconque armée ne puisse un jour s’y établir pour les attaquer. La guerre pour le contrôle du pétrole et du gaz s’est étendue en Libye et c’est le Maghreb qui est désormais menacé.
Entre-temps, l’islamisme a déstructuré et divisé encore plus les sociétés et il s’appuie sur une puissance étrangère, la Turquie, qui poursuit des objectifs impérialistes sous l’ombrelle américaine, en se parant de l’oripeau de l’islam et du califat.
Si un jour les pays arabes, ou ce qu’il en reste, veulent changer le rapport de force défavorable qu’ils subissent actuellement dans le monde, ils ne pourront le faire qu’en se débarrassant de l’islamisme, en modernisant leurs sociétés et en définissant et en réalisant un minimum d’objectifs stratégiques communs, en collaboration avec des pays comme la Chine et la Russie, qui s’opposent à l’hégémonie américaine. Autrement la spirale infernale dans laquelle est plongé le monde arabo-musulman ne risque pas de s’interrompre de sitôt.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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