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Kais Saïed en chevalier blanc de l’Apocalypse

Au plus fort de la crise institutionnelle, politique, économique et sociale qui mine la Tunisie depuis plusieurs années, et dont tout le monde appréhende l’issue, le président de la république Kaïs Saïed a choisi, une fois de plus, de servir à la nation un discours idéaliste et moralisateur, mais cette fois-ci, sur un ton encore plus fort et sans propositions concrètes pour aider le pays à voir le bout du tunnel. Etait-ce ce qu’on était en droit d’attendre de lui ?

Par Raouf Chatty *

Devant le chef du gouvernement en poste, Hichem Mechichi, et trois anciens chefs de gouvernement (Ali Larayedh, Youssef Chahed et Elyes Fakhfakh) qui ont participé à la réunion, tenue le 15 juin 2021 au Palais de Carthage, sous sa présidence, retransmise en direct micro ouvert à tout le pays, M. Saïed a déploré, en termes clairs et forts, la gravité de la situation générale dans le pays, mis l’accent sur les sacrifices que le peuple est en train de consentir, rappelé sa conception de l’exercice du pouvoir politique comme une charge et une servitude, et non comme un moyen de servir les groupes d’intérêt et de se servir au passage, fustigé sans le nommer le parti islamiste Ennahdha au pouvoir depuis dix ans, et tout ceux qui sont nostalgiques de l’ancien régime, par allusion à Abir Moussi et à son Parti destourien libre (PDL), invité ses invités à lui faire des propositions et des suggestions originales pour le «dialogue national» espéré.

Tous incompétents, tous coupables…

Dans une scène surréaliste, où il s’adressait à des chefs de gouvernement qui étaient aux commandes, il a livré un diagnostic impitoyable de la situation générale dans le pays, soulignant qu’elle se complique de jour en jour, que les institutions de l’Etat sont menacées d’effondrement, que la pauvreté devient endémique, que le peuple est de plus impatient, voyant les disparités sociales s’accentuer. Un message dur pour souligner la responsabilité de ses interlocuteurs dans la dégradation de la situation générale dans le pays, les discréditant au passage devant l’opinion publique.

Emporté par son élan critique, tel un candidat de l’opposition dans une campagne électorale, M. Saïed a ensuite fustigé sans le nommer le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi, qui est en même temps le chef du parti islamiste Ennahdha, coupable à ses yeux d’avoir outrepassé ses prérogatives et rogné sur les compétences du chef de l’Etat. Il a parlé de mensonges, de tromperies et de dépassements de toutes sortes, sur fond de compétition entre les hautes institutions de l’Etat pour la répartition et l’exercice du pouvoir, insistant sur le fait que toutes les parties doivent être à la hauteur des responsabilités historiques qui leur sont confiées par le peuple.

Le chef de l’Etat a également dénoncé le fait que le pays vive sous un régime ambivalent, avec les deux faces de Janus, «une visible couverte de légalité et une occulte qui tire les ficelles dans tous les domaines», par allusion aux lobbys d’intérêt qui financent et soudoient les acteurs politiques pour préserver leurs privilèges indus, en martelant l’idée que la Tunisie est un pays qui a suffisamment de ressources, mais elles sont très mal exploitées et inéquitablement réparties, en dénonçant la lourdeur du système judiciaire, qui, a-t-il dit, s’il ne recouvre pas sa santé, rien ne changera dans le pays et en déplorant le fait que le dossier des fonds détournés à l’étranger ait été délibérément mal géré depuis 2015, et qu’il n’ait abouti à aucun résultat positif.

Plus grave, M. Saïed a dénoncé le fait que des parties aient sollicité l’aide de l’étranger pour se débarrasser du président de la république et porter ainsi atteinte à la stabilité du pays, sur fond de lutte acharnée pour le pouvoir, rappelant au passage qu’il est le chef de l’Etat et qu’il tient son mandat au terme d’élections qui l’ont massivement porté aux commandes, dans une allusion implicite au président du parlement et au chef gouvernement qui n’ont aucune légitimité populaire pour lui disputer ses prérogatives constitutionnelles.

Chef d’Etat, objecteur de conscience ou leader d’opposition

Sacrifiant à ce ton doctement moralisateur qui caractérise ses discours, l’ancien professeur de droit constitutionnel, confondant souvent son rôle de chef d’Etat avec celui d’un académicien, le président de la république a rappelé que le «dialogue national» projeté ne saurait être comme celui de 2015, qui n’était, a-t-il dit, «ni dialogue ni national», rejetant l’idée que ce qu’il appelle les corrompus y participent et qu’il ne serve qu’à donner une légitimité à ceux qui n’en ont pas. Ce «dialogue», a-t-il insisté, ne doit pas servir à couvrir les voleurs et les traîtres à la nation, mais doit être un forum pour examiner les véritables maux du pays et leur trouver des solutions concrètes.

Et dans ce cadre, le président ne voit pas de salut réel pour le pays en dehors d’une refonte profonde du système politique par la révision de la Constitution et l’adoption d’un nouveau mode de scrutin qui permette au peuple de mieux connaître ses élus, de les sanctionner par son vote et les obliger ainsi à s’occuper réellement de ses problèmes en souffrance.

Bref, il s’agit d’un vaste chantier qui mérite toute notre attention, mais qui, dans les circonstances actuelles, n’a que peu de chance d’être mis en œuvre, car au-delà des beaux discours, aucune partie, y compris le président lui-même, n’entend lâcher de sitôt le pouvoir.

Dans ces conditions, il est légitimité de se poser la question de savoir pourquoi cette réunion et quelle pourrait être sa plus-value.

Les prochains jours nous le diront, à moins que la rue, exaspérée par la dégradation sans précédent de la situation générale dans le pays, ne se décide pour un autre mode de dénouement qu’elle saura imposer le moment venu et qui semble devenir inéluctable !

* Ancien ambassadeur.

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