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Islam politique et Etat national : « Je t’aime… Moi non plus ! »

L’islamisme politique peut-il tourner le dos à ses principes fondateurs, dogmatiques et totalitaires ?

Du FIS d’Algérie, aux Frères musulmans d’Égypte, en passant par Ennahdha de Tunisie, pour ne citer que ces quelques exemples, les islamistes peinent à se frayer un chemin vers le pouvoir ou à s’acclimater sainement à ses rouages sans se casser des dents ou traîner des casseroles. Il est vain pour eux de s’abonner à la théorie du complot pour justifier ou expliquer leurs déboires et échecs interminables, tellement ce phénomène est manifeste. Le ver est dans le fruit…

Par Me Abderrazek Ben Khelifa *

Sans verser dans des conclusions jusqu’au-boutistes taxant l’islam de religion non soluble dans la démocratie, il n’en demeure pas moins que les expériences des islamistes dans les différents gouvernements auxquels ils ont pris part se sont heurtées à une forme de rejet «institutionnel» ou d’une espèce de «difficulté d’amarrage»… Bien plus, même au pouvoir, ils n’ont pas osé à sortir de leur bastion idéologique et préféré gouverner à distance ou par procuration dans le souci de maîtriser les rouages de l’Etat avant de mettre en place l’Etat de l’islam. D’ailleurs, leur action politique est axée plutôt sur la société civile ou «le travail souterrain» comme l’appellent certains islamologues, observant une certaine méfiance vis-à-vis du sommet du pouvoir (le candidat d’Ennahdha à la présidence de la république en 2019, Abdelfattah Mourou, a été lâché par son parti!).

En outre, il ne faut pas perdre de vue que cette méfiance des islamistes vis-à-vis de l’appareil de l’Etat est en réalité réciproque. L’administration publique ne leur a jamais cédé, ce qui a poussé certains d’entre eux à employer souvent la notion de l’«Etat profond» (الدولة العميقة), concept d’origine turque employé pour la première fois par l’ancien Premier ministre turc Bûlent Esevit (mort en 2006).

L’administration publique a toujours gardé une distance vis-à-vis des «nouveaux venus» au pouvoir.

La question qui se pose est la suivante: les islamistes ont-ils bien compris cela ? Je n’en suis pas sûr. Mais ce qui est sûr c’est qu’il y a un problème structurel et plus profond qui fait que l’islamisme, à l’exception peut-être de celui des Turcs, est incapable de se greffer à l’establishment politique comme un acteur «ordinaire» ou un acteur comme les autres. Les raisons en sont multiples.

La chariâ, rêve des uns, cauchemar des autres !

Les islamistes puisent leur raison d’être dans un principe fondateur à savoir que «l’islam est la solution» (الإسلام هو الحل). Ce «dogme» n’a jamais été remis en question par Ennahdha et l’islam politique d’une façon générale malgré l’évolution de la pensée politique moderne vers un rejet systématique de toute pensée totalitaire, surtout depuis la chute du bloc communiste 1989).

Bien que souvent «noyés» dans un discours pro-démocratique et pro-libéral, les textes de base de l’islam politique en Tunisie, en l’occurrence les écrits de Rached Ghannouchi (14 livres), ont toujours appelé à l’application pure et simple de la chariâ. Dans son livre  »L’islam et les libertés publiques », le président d’Ennahdha ne reconnaît le pluripartisme que sous la chariâ (page 95).

Mais faut-il rappeler que le nouvel Etat tunisien, création d’une élite libérale et laïque, et héritier d’une tradition séculaire était sceptique à toute forme de pouvoir de type «totalitaire», et n’a pas accueilli cet islamisme à l’Egyptienne à bras ouverts. L’élite tunisienne aussi bien libérale que de gauche a même noué avec ce courant politique des relations très tendues voire parfois violentes (comme en 1981 à la Faculté de Manouba). Après chaque débat identitaire, traditionalistes islamistes et progressistes se déclarent la guerre les uns aux autres. De ce point de vue l’islamisme est perçu par l’establishment comme une menace voire un danger imminent.

Certains ont cultivé, en vain, l’espoir de voir ce parti religieux se transformer en un simple parti conservateur à la manière de la démocratie chrétienne européenne. Mais ce n’était qu’une illusion.

Ennahdha n’a entrepris aucun effort de réforme de ses dogmes identitaires fondateurs de plus en plus contestés dans le monde, un point commun que le parti islamiste tunisien partage d’ailleurs avec la gauche marxiste et nationaliste.

Ennahdha est resté animé par une politique politicienne et machiavélique favorisant plutôt l’infiltration de l’appareil de l’Etat au détriment des débats sociétaux pour expliquer ses projets et sa vision d’un projet de société acceptable et viable.

En un mot, Ennahdha n’a jamais réussi (ou peut être n’a-t-il jamais cherché) à dissiper les craintes et les soucis d’une bonne frange de la société sur son projet futur. Il est demeuré une machine électorale mobilisée en permanence et obsédée par l’idée de ne pas quitter le pouvoir.

Un islamisme opportuniste et sans projet

La révolution de 14 janvier était bel et bien contre le déséquilibre du développement régional et l’échec d’un modèle de développement dépassé.

En se présentant aux élections de 2011, les islamistes n’ont jamais mis sur la table un projet de développement digne des aspirations de la révolution; ils ont tout simplement repris un programme de Ben Ali préparé en août 2010, arrosé de dizaines de propositions copiées collées du 11e plan de développement (programme des 365 points avec 590.000 emplois à la clé).

Étant un projet identitaire, l’islam politique a toujours péché par une carence notoire au niveau de la politique économique. Les questions sociales aussi relèvent plutôt pour eux de la morale islamique d’où leur obsession des activités caritatives, une forme malhonnête pour séduire les électeurs.

En arrivant au pouvoir, Ennahdha était appelé à gérer une économie nationale en panne. Mais durant 10 ans, le parti islamiste ne faisait qu’approuver des loi de finances non adossées à aucune vision de changement et concoctées par des technocrates conservateurs cyniques.

C’est vrai qu’aucun des acteurs principaux de la scène politique n’a réussi à concevoir un projet politique sérieux et viable et tout le monde scande de simples slogans non réalisables. Mais quand il s’agit d’un parti au pouvoir, il est inadmissible de gouverner sans projet.

Quel avenir pour les islamistes ?!

Il est vain pour les islamistes de continuer à ruminer ce discours hypocrite de consensus pour s’adapter à la réalité et laisser passer l’orage. Il est temps pour eux de réviser leurs textes fondateurs et non pas seulement leur tactique politique: qu’on le dise clairement, il faut en finir avec la chariâ, cet ensemble d’interprétations des textes sacrés par des êtres humains appelés «fouqaha» (فقهاء) érigées en textes sacrés à appliquer à la lettre au même titre que les préceptes du Coran.

Le monde moderne dont la Tunisie fait partie n’accepte aucun projet totalitaire sous quelle forme que ce soit.

Par contre, personne ne peut hypothéquer le droit de ceux qui se reconnaissent dans un projet de société inspiré des valeurs de l’islam de faire valoir leurs idées, à condition qu’il s’agisse d’un projet discutable et soluble dans une démocratie pluraliste.

Soyons vigilants, toute tentative d’exclure ou «extirper» la mouvance islamiste en tant que courant conservateur de la scène politique serait un cadeau du ciel pour les jihadistes «fous du dieu» qui ne cherchent qu’à montrer à leur adeptes que la démocratie est contraire à l’islam.

Maintenant, la balle est dans le camp des islamistes pour ne plus accepter la démocratie comme «une simple procédure» pour prendre le pouvoir et le garder pour toujours, mais comme un mode de vie d’une société moderne et civilisée en dehors de tout complexe de civilisation.

* Avocat et homme politique.

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