Dans un article édifiant intitulé «Les Talibans sont les nouveaux narcos: héroïne, milliards et géopolitique» paru dans les colonnes du quotidien italien Corriere della Sera, mercredi 18 août 2021, l’écrivain et journaliste Roberto Saviano, expert des mafias, devenu mondialement connu par son best-seller Gomorra paru en 2006, qui a mis à nu la mafia napolitaine et qui lui a valu la condamnation à mort par cette dernière, a brossé le portrait des Talibans qui sont avant tout des trafiquants de drogue à l’échelle mondiale. Pour lui, leur dictature religieuse est un moyen d’asservissement du peuple afghan afin de pouvoir se livrer à leur activité principale et essentielle, le narcotrafic. Nous publions des passages de ce portrait très instructif et sans concession.
Par Roberto Saviano
Les Talibans, leaders du trafic de drogue qui ne se limite pas à l’héroïne
L’islamisme n’a pas gagné, en ces heures, après plus de vingt ans de guerre. L’héroïne a gagné. L’erreur est de les appeler miliciens islamistes : les Talibans sont des trafiquants de drogue. Si vous lisez les rapports de l’UNODC, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime depuis au moins vingt ans, vous trouverez toujours les mêmes données : plus de 90% de l’héroïne mondiale est produite en Afghanistan. Cela signifie que les Talibans, avec les narcos sud-américains, sont les trafiquants de drogue les plus puissants au monde. Au cours des dix dernières années, ils ont également commencé à jouer un rôle très important pour le haschich – ils produisent non seulement de la fumée afghane, mais aussi du charas, meilleure gamme de haschich – et du cannabis.
De la mafia italienne au Hamas, une large clientèle
L’héroïne talibane approvisionne la Camorra, la Ndrangheta (mafia calabraise) et la Cosa Nostra, approvisionne les cartels russes, et la filiale américaine de la Cosa Nostra et toutes les organisations de distribution aux États-Unis à l’exception des Mexicains qui tentent de devenir indépendants de l’opium afghan (avec difficulté, car l’héroïne du Sinaloa est plus chère que l’héroïne afghane). A travers la route Afghanistan-Pakistan-Mombasa (Kenya), les talibans approvisionnent également les cartels de Johannesburg en Afrique du Sud, autre marché énorme. Ils fournissent de l’héroïne au Hamas, une autre organisation qui se finance aussi avec du haschich et de l’héroïne et qui en fait communiquait : «Nous félicitons le peuple islamique afghan pour la défaite de l’occupation américaine sur tout le territoire de l’Afghanistan et avec les Talibans et leur brave leadership pour la victoire à l’issue d’une longue bataille qui a duré 20 ans». Ce sont en apparence des alliances politico-idéologiques, en réalité des pactes criminels.
Ambitions asiatiques
L’héroïne talibane a créé un axe très important avec la mafia de Mumbai, la D-Compagny de Dawood Ibrahim, le souverain des narcos indiens protégés par Dubaï et le Pakistan et qui est le véritable distributeur de l’or afghan. Le marché chinois n’est pas encore conquis mais l’ambition des Talibans se tourne vers l’est, pour s’emparer aussi du Japon (les Yakuza – mafia japonaise – est approvisionné du Laos, du Vietnam et de Birmanie) et surtout les Philippines, qui ont un marché florissant et ont rompu avec l’héroïne birmane. Cette dernière, comme l’héroïne chinoise, est directement gérée par les militaires et peut donc compter sur une production rapide et efficace que les cartels contraints de prendre des pots-de-vin et les médiations qui échouent souvent.
Les nouvelles générations des Talibans
Les nouvelles générations de Talibans sont identiques aux anciennes avec une différence substantielle: les anciens Talibans considéraient les moudjahidines anti-soviétiques comme des héros, les nouveaux Talibans voient les gros trafiquants comme une référence, ceux qui ont changé le destin de la guerre (et le leur) avec l’opium. Les Talibans utilisent la loi islamique pour créer un régime autoritaire, nécessaire à leur trafic; ils interdisent la musique et les fards alors que la drogue, jusqu’à il y a vingt ans, n’était vendue qu’à l’extérieur des frontières: il y a eu un changement de cap. Maintenant, ils vendent également en interne.
La toxicomanie en Afghanistan est une épidémie à laquelle personne n’a pensé et qui grandit chaque année, et les Talibans en profitent : les jeunes recrues sont bourrées de haschich – et c’est le moins qu’on puisse dire –, mais on leur donne aussi l’occasion d’accéder à l’héroïne : rejoignez nos groupes et vous pourrez vous faire approvisionner, est le non-dit (impensable il y a vingt ans) des caporaux talibans. Lorsqu’elles sont réduites à l’état de larves, ils les lancent comme des zombies épuisés.
D’après Il Corriere della Sera, traduit de l’italien.
* Ecrivain et journaliste italien.
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
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